L’étape de montagne annoncée a bien lieu. La grande bagarre aussi. Les îles bretonnes ont parfaitement joué leurs rôles d’obstacles naturels et entrainé déjà quelques décisions stratégiques de haute volée et le lot de spectacle qui va avec : la nuit dernière, quelques-uns sont passés, sans succès, au grand large de Belle-île, dont Armel Le Cléac’h (Brit Air, 4e au général) et Gildas Morvan (Cercle Vert, 7e). Les autres, a contrario, ont fait l’intérieur.
Un peu plus loin au niveau des Glénan, certains ont tiré très à terre pendant que leurs camarades viraient plus tôt, avant le refus du vent, pour aller chercher Cap Caval, au sud immédiat du phare d’Eckmühl. Cette marque de passage obligé sanctionnait le Grand Prix GMF Assistance, remporté ce matin à 9h35 par un certain Michel Desjoyeaux (Foncia). D’autres enfin ont joué un joli coup avec un repositionnement judicieux en traversant au milieu des cailloux des Glénan, comme Yann Eliès (Generali, 2e au général) qui raconte : « je suis passé où je ne passerai jamais si je n’étais pas en course. J’ai coupé le fromage entre deux cailloux distants de 50 mètres l’un de l’autre. J’ai pris un risque en partant à 90 degrés de la route, mais je suis bien revenu dans le paquet, à la bagarre avec tout le monde. »
Des écarts faibles devant
La bagarre, ils n’ont que ce mot à la bouche. Et dès ce matin, on sentait qu’elle était rude. S’il n’y avait que peu d’écarts parmi les leaders derrière Michel Desjoyeaux (Foncia) au passage de Cap Caval (les 15 premiers en une demi-heure) il a fallu tout de même trois heures pour voir toute la flotte des 52 bateaux passer la marque. Au près, tribord amures, tous ont donc décidé de partir dans l’ouest, puisque le vent de nord-ouest relativement faible, 7 à 10 noeuds sur zone cet après-midi, est dans l’axe de la route vers l’Irlande.
Au pointage de 16h, à 333 milles de l’arrivée à Dingle, on n’en était toujours qu’à la latitude de la baie d’Audierne et les écarts en terme de distance au but étaient infimes : les 25 premiers en moins d’un mille et demi ! On n’arrivait même pas à ce pointage à déterminer un leader, Charles Caudrelier Benac (Bostik) et Michel Desjoyeaux (Foncia) étant pointés à exacte égalité (0.0 mille) Pour la place de troisième provisoire suivaient dans l’ordre et tous à égalité à 0,3 mille (555 mètres…) le premier bizuth Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham), Gildas Mahé (Banque Populaire), Erwan Tabarly (Athema) et Armel Tripon (Gedimat). Autrement dit six bateaux pour trois places sur le podium provisoire. Et tous pouvaient imaginer prendre la tête…
A ce petit jeu de tricot sur fond de ciel tout gris et houle opposée à la marche – pas exactement l’idéal pour faire de la voile – le leader au classement général Nicolas Lunven (CGPI) tenait parfaitement son rang : 12e à 0,7 mille. Son dauphin Yann Eliès (Generali, 15e) n’était qu’à 1 mille du leader. Absolument rien n’était joué encore donc, malgré cette débauche d’inventivité et les multiples nuances de trajectoires enregistrées depuis le départ de Saint Gilles Croix de Vie. Enfin, il faut encore se méfier de Jean-Pierre Nicol (Gavottes) et Louis Duc (Caen Normandie). « Recalés en escalier après trois virements, ils profitent d’un meilleur coup d’ascenseur et sont aspirés par le flot au nord du raz de Sein », note Jacques Caraës, le directeur de course. Très attardés au passage de Cap Caval, ces deux-là – décalés plus à l’est mais aussi plus au nord – pourraient être sur un bon coup. Ils sont en tous cas à l’attaque, avec un jeu radicalement différent de celui des 50 autres bateaux. Affaire à suivre, peut-être… comme sera surtout à suivre l’autre grand moment clé de la course prévu cette nuit : le virement de bord dans l’attaque de la dorsale anticyclonique. De son timing dépendra probablement le leadership de cette grande escalade vers l’Irlande.
BM
Les echos du large :
Michel Desjoyeaux (Foncia, 1er ex-aequo à 16h00) « Jusqu’à maintenant, je n’ai pas fait de super étapes, alors là, je me rattrape un peu. C’est quand même un peu impressionnant de voir toute la flotte derrière soi. On a eu deux heures de mou à Penmarc’h, un quart d’heure de vent plus soutenu et c’est encore retombé. Comment je vois l’avenir ? Gris ! On ne devrait pas voir le soleil jusqu’à Dingle. Ce n’est pas génial mais c’est comme ça. »
Charles Caudrelier Benac (Bostik, 1er ex-aequo) « J’ai été en tête au moins une fois à toutes les étapes, mais je n’ai jamais conclu. Là, j’ai une bonne vitesse, j’ai réussi à glisser sous Michel (Desjoyeaux). Il faut maintenant que je reste devant. A la crêperie de Port La Forêt, il y a une crêpe Michel Desjoyeaux. La patronne m’a promis que si j’arrivais à le battre, il y aurait une crêpe Charles Caudrelier. Alors voilà, mon objectif est de battre Michel. C’est une étape qui s’annonce dure et pour l’heure, on n’a pas trop rigolé. Je savais qu’il faut être agressif dès le début, parce avec tout ce beau monde et le niveau qu’il y a… Alors j’ai attaqué à fond. Cette étape est importante pour moi. J’essaie de rester agressif sinon, ça ne gagne pas. »
Armel Tripon (Gedimat, 6e) « Belle nuit et bonne nav’ pour moi. C’est agréable de se retrouver dans le match après 24 heures de course. Il y avait un premier choix à faire : passer sous le vent ou au vent de Belle Ile. Ensuite, il y avait pas mal de changements de vent, en intensité et en direction, donc, de quoi s’occuper. Ensuite, on est arrivé aux Glénan avec la bascule et le jour qui se levait.
En ce moment, c’est gris uniforme, j’ai 8,5 nœuds de nord-ouest mais c’est assez changeant donc, vigilance aux réglages. Il y a aussi quelques beaux paquets de laminaires (des alques, ndr)… on arrive en mer d’Iroise. »
Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham, 3e et 1er bizuth) « J’ai eu quelques dauphins avec moi au réveil… sinon, je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit pour essayer d’attraper le bon wagon. Ce que j’ai fait cette nuit à bien payé, j’ai réussi à gagner des places. Ca fait du bien d’être dans le bon peloton. Mais il faut continuer à réfléchir car il y a encore pas mal de route.»
Jérôme Samuel (Opéra en plein Air, 39e)« Ma deuxième partie de nuit n’a pas été facile. Au début, j’étais bien placé, dans les 25. Mais j’ai décidé de tirer au large des Glénan et ce n’était pas la bonne tactique. Je suis déçu, mais bon, la route est longue. Sinon, le vent a été mou à cap Caval. Là; c’est reparti, j’ai une douzaine de nœuds. On va faire beaucoup de près sur cette étape. Avec un peu de chance, on pourra mettre le spi à l’arrivée en Irlande ! »
Yann Eliès (Generali, 15e) : « Je suis de nouveau dans le paquet. Je me bagarre comme tout le monde contre les algues. Ce que j’ai fait cette nuit était un peu risqué : bien rangé dans le paquet, j’ai décidé de partir à 90° de la route. Mais j’ai du vécu et je prends mes décisions en fonction de mon expérience. J’essaye de me reposer un peu mais c’est l’étape où il faut aller chercher les mètres un par un. Ce sera un combat dur, rude et fatigant jusqu’ à Dingle. »
Adrien Hardy (Agir Recouvrement, 25e): « Les conditions ne sont pas évidentes car il y a beaucoup de mer par rapport au vent qui est très inégal. On gagne des mètres puis on en perd, il faut être à l’affût sans cesse depuis Penmac’h. Actuellement, j’ai Frédéric Duthil à mon vent, dessous, il y a Jérémie Beyou et Gildas Morvan et plus bas Armel Le Cléach. C’est motivant de naviguer avec eux mais il y a quand même du monde devant. »