Un gros morceau !

Figaro
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Sur le port de plaisance du Moulin Blanc, des enfants en combinaisons noires hauts comme trois pommes gréent des Optimists en plissant des yeux sous le soleil. Ils rêvent qu’un jour ils feront « comme Gildas » (Mahé, Le Comptoir Immobilier), 5e au général et vedette du cru. Qu’ils seront eux aussi un jour au départ de cette Solitaire de dingos et y goûteront la même réussite. Dans Le Figaro – le journal – du jour, on apprend entre autres que les skippers de La Solitaire ont mal aux fesses et que si ça se trouve c’est Marco Polo et pas Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique, polémique qui tiendra bien encore deux siècles. Ce midi, on a applaudi le podium de la deuxième étape, les Michel Desjoyeaux, Fred Duthil et Gildas Mahé, justement. Un coucou au public nombreux et les marins se sont plongés dans l’étude de la troisième étape, à peine dérangés par un contrôle antidopage. Et ce qu’ils ont vu sur les écrans de leurs ordinateurs promet. Car ce gigantesque « 1 » inversé à travers Manche, Mer Celtique et golfe de Gascogne – la plus longue étape en 38 ans d’histoire de La Solitaire – s’avère aussi complexe qu’ouvert, aussi musclé que passionnant, « avec de l’eau sur le pont et du sel dans les yeux » prédit Jacques Caraës, directeur de course.

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Il faudra d’abord s’extraire de la pétole d’Iroise qui oblige d’ailleurs à retarder le départ de 4 heures. Le coup de canon sera ainsi donné à 15h, pour éviter le courant contraire dans le goulet. Conjugué à la quasi inexistence des vents prévus samedi midi, il aurait pu obliger les marins à jeter l’ancre pour ne pas culer. Surtout ne pas se fier à cette image trompeuse d’un départ probablement aussi lent que tactique, au moins jusqu’à Ouessant. Car on passera aux choses sérieuses relativement rapidement. Un flux de secteur ouest perturbé et instable d’une quinzaine de nœuds ne devrait s’installer véritablement au nord-ouest que dimanche matin… avant de tourner sud-ouest et assez fort lundi (30 nœuds). Cela permettrait aux premiers de virer le phare du Fastnet, Grand Prix Suzuki, dans la nuit de lundi à mardi, où il y aura sans doute de la mer, des creux de l’ordre de 4 m. Le tout est à prendre avec des maxi pincettes, tant les modèles météo évoluent en permanence en ce moment, sous l’influence du déplacement de deux dépressions sur le proche Atlantique. Pour résumer, ce sera bien compliqué de négocier ce premier tiers de course, ces 280 milles de remontée vers l’Irlande.

Complexe, long, musclé…

« Il faudra faire marcher ses neurones et tirer les bonnes cartes… je parle des cartes météo ! » s’amuse le vainqueur 2006, Nicolas Troussel (Financo) 6e au général, « la remontée au Fastnet est carrément compliquée avec une succession de bascules à négocier, avant que le jeu ne s’ouvre complètement quand on aura viré le phare ». Here we are, comme dirait la Papoue Liz Wardley (Sojasun). Nous y voilà. Très compliqué jusqu’au Fastnet, musclé aux abords du vieux phare (25 nœuds de sud-ouest établis, rafales à 40) puis… probable bascule au nord-ouest très soutenu qui laissent imaginer a minima une première partie de descente au portant vers l’Espagne plus que sportive. « Une étape de marcassins » sourit le leader au général Fred Duthil (Distinxion), «ou de brutes, si vous préférez. Ma première obsession sera de ne pas casser de matériel, la deuxième de ne jamais laisser partir Michel Desjoyeaux », son dauphin au classement général, pour 13 minutes et 27 secondes. Se marquer les uns les autres ne sera pourtant pas chose aisée sur ce parcours dont la longueur, la météo incertaine et l’absence de marques à respecter après le Fastnet ouvrent un jeu « qui ressemble davantage à une première étape de course transatlantique» prévient Armel Tripon (Gedimat), lequel se souvient qu’il a gagné un beau jour la Transat 6.50 et en a conservé un attrait immodéré pour le long cours et le grand large. Cette fois, ils partent pour 5 à 6 jours de mer. Devront donc dormir et gérer l’humain en même temps que la machine. Une quadrature du cercle qu’appréhende légèrement Fred Duthil : « je n’ai pas fait de Transat cette année, ce sera ma première course véritablement hauturière et il faudra que je fasse attention au bonhomme. Mais bon, la brise, je commence à aimer ça.»

On n’en trouvera évidemment pas un seul pour dire que cette étape fait peur. Marc Emig (A.ST Group) promet qu’il va attaquer. Gérald Véniard (Scutum) est obsédé par l’idée de récupérer au mieux d’ici demain mais lâche une lapalissade pertinente : « il va falloir se battre ». Christophe Lebas (Lola La Piscine Assemblée) est ravi. Du jeu, du vent, une météo pas claire et éventuellement des conditions difficiles vont bien au teint de ce dur au mal. Il sait bien qu’avec la moitié de la flotte en deux heures, « tout peut être chamboulé au classement, et ce même jusqu’à La Corogne ou ça tamponne parfois sévèrement mais … on n’y est pas rendus à La Corogne ! » D’ici là en effet, on va en avoir des émotions. Des quilles qui chantent et des spis qui claquent. Des qui pleurent et d’autres qui rient. Des paquets de mer dans la baignoire, des surfs qui tuent, des classements qui virevoltent. Des histoires de mer et de marins. Erik Nigon (AXA Atout Cœur Pour Aides) le sait bien. Ce n’est pas sa 35e place au général et ses 3h30 de retard au leader qui y changeront quelque chose : «une étape fantastique nous attend, pleine de rebondissements, de moments chauds et d’instants sympa. Ce sera joli à suivre ». On n’en doute pas une seconde. En salle de presse, on vérifie que la caisse à superlatifs est opérationnelle, à portée de claviers. Elle va forcément servir.

Les échos des pontons

Michel Desjoyeaux (Foncia, 2e au général) : « Depuis hier matin, il y a tellement de changements que j’ai arrêté de me prendre le choux avec la météo. On va réactualiser ça tranquillement demain matin. Si c’est toujours l’inconnu demain et bien au moins, on partira tous sur un pied d’égalité. Il faudra faire sa route comme un grand, élaborer sa stratégie avec très peu d’informations. C’est un vrai retour aux choses simples… Chacun devra faire avec très peu de moyens »

Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs, 3e) : « Cette 3e étape va faire la place aux durs, aux costauds, aux habitués et surtout, aux mieux préparés. Il va falloir réfléchir tout le temps. C’est tellement mal calé au niveau météo, qu’en cours de navigation, il faudra en permanence sortir les cartes. Moi ça ne me déplaît pas quand c’est dur, quand il faut réfléchir et se remettre en question. Je suis reposé, détendu… avec le niveau de pression suffisant pour faire ce qu’il y a à faire. »

Thierry Chabagny (Brossard, 4e) : « Cette troisième étape est un gros marathon avec des sprints à droite et à gauche, entrecoupés de moments plus calmes. Apparemment ça va être long, difficile, avec des vents forts. Ce sera à la fois de la gestion du bonhomme, de la météo et du bateau. Ca va être dur à cause des conditions mais aussi de la concurrence A mon avis, le vainqueur de cette étape sera un marin complet et abouti.»

Paul Ó Rian (City Jet, 46e) : « C’est vraiment l’inconnu. J’appréhende et en même temps, je suis heureux de retourner sur l’eau. La météo prévoit 40 nœuds, beaucoup plus que ce que nous avons eu jusqu’à présent. Je me prépare à embarquer de la nourriture et de l’eau supplémentaires en vue d’une longue étape. Le sommeil sera important… économiser sur le repos et la nourriture serait une erreur. Je vais essayer de me concentrer pour bien marcher et pour m’imprégner de belles images.. »

Vincent Biarnes (Côtes d’Armor, 15e et 1er bizuth) : « Cette étape va vraiment être de la course au large, il va falloir ‘optionner’ et avoir confiance en soi et en ses choix. Je vais y aller sans complexe, je n’ai rien à perdre. 40 à 45 nœuds, c’est pas mal ! Je n’ai jamais navigué dans ce temps là avec le bateau. Je n’ai même jamais pris de ris en Figaro, mais c’est quand même un bateau très marin et au niveau sécurité, y’a pas trop de problème. »

Frédéric Rivet (Novotel Caen, 23e et 3e bizuth) : « A priori, ça s’annonce assez venté avec une dépression aux alentours du Fastnet. Ca risque d’être assez costaud. Là haut, on attend des vents de plus de 45 nœuds avec une mer assez forte. S’il faut y aller, et bien on y va ! J’ai la chance d’avoir vécu ces conditions sur Marseille-Istanbul donc je vois à peu près à quoi ça va ressembler. Va falloir être prudent. C’est bien…. C’est ça La Solitaire ! »

Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom, 10e) : « Ca va être une belle navigation, longue, compliquée et qui sera sans doute le juge de paix de cette 38e Solitaire Afflelou Le Figaro. Ca va être rigolo. C’est pas la durée qui m’inquiète, c’est plus de savoir comment gérer tout ça sur un rythme Figaro. Je pense justement qu’il ne faudra pas avoir le rythme Figaro, celui qui consiste à dormir le moins possible. C’est trop long. Moi, en tout cas je ne pense pas être capable de ne pas dormir pendant 5 jours. Certains vont peut être essayer. S’ils le font, ils pourraient le payer très cher sur la fin de l’étape. »