La pleine lune nous guide, sur fond de mer gris argent. Les premières lueurs de l’aube dévoilent les rives de la Presqu’île du Cotentin et on distingue déjà Guernesey, masse sombre loin sur l’horizon. Beau temps, belle mer… avec deux heures d’avance ici sur le meilleur horaire prévu, comme on dit au Tour de France, les feux épars des Figaro révèlent des concurrents toujours au près, dans un vent qui mollit : une petite dizaine de nœuds d’ouest. Son renforcement au nord-ouest est attendu dès ce matin, ce qui permettrait de faire la route directe.
Ce joli spectacle n’est paisible qu’en apparence. En réalité, rivés à la barre, peu ont fermé l’œil, tant il y a eu des coups à jouer cette nuit. La route idéale était un collé-serré à la côte, suivi d’un virage très largement arrondi ensuite. "Pour résumer", explique le directeur de course Jacques Caraës, "ceux qui s’en sont le mieux sortis sont d’abord allés jouer dans les cailloux, très près de la côte sous la pointe de Barfleur, puis ont enchaîné par une sortie vers le large. Dans les deux cas, ils se sont fait aspirer par le courant, qui était par exemple de six nœuds dans le raz Blanchard". Laurent Pellecuer (Arnolfini.fr) a même constaté un différentiel de sept nœuds entre sa vitesse surface et sa vitesse sur le fond. Joli tapis roulant, non?
A ce petit jeu nocturne du rase-caillou et chasse-courant (n’oublions pas nos amies les algues sans cesse accrochées aux safrans) deux hommes ont tiré les marrons du feu : Eric Péron (Skipper Macif 2009) et Erwan Tabarly (Nacarat) sont quasiment à égalité en tête. Ils ont parfaitement tricoté. A l’inverse, Karine Fauconnier (Eric Bompard Cachemire), leader hier soir, va regretter son option trop tôt au large : elle se retrouve 43e à plus de 12 milles du leader ce matin.
Si la route est encore longue et que rien n’est joué évidemment, il y a déjà des écarts relativement importants. Kito de Pavant (Groupe Bel, 37e), par exemple, devra trouver une solution pour refaire ses 10 milles de retard ce matin. Lui aussi a joué une carte au large trop tôt. Même chose pour un autre grand favori : Gildas Morvan (Cercle Vert) qui se retrouve ce matin 32e à 7,5 milles. Rien n’est perdu bien sûr… et il y a beaucoup d’occasions de se refaire – à commencer par ce passage des anglo-normandes – mais il faudra pour cela cravacher pendant que les autres tenteront peut-être d’enfin se reposer.
A part ça? "A part ça tout va bien" sourit Jacques Caraës. Pour l’anecdote, on a assisté cette nuit à la VHF à une belle démonstration de solidarité : Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne) a reçu de ses adversaires une foule de conseils pour tenter de remettre en service son pilote automatique défaillant. C’était sympa à entendre, dans la grande tradition de La Solitaire.
BM, à bord de DC Mer
Echos du Large
Laurent Pellecuer (Arnolfini.fr), 3e au classement de 4h00
« Nous évoluons maintenant dans le raz Blanchard, avec de forts courants…. et de contre-courants d’ailleurs : tout à l’heure par exemple j’étais à 7 nœuds de vitesse en surface mais à 13 nœuds en réalité sur le fond ! Stratégiquement, il fallait aller à la côte pour passer la pointe de Barfleur et au large ensuite. Je ne veux pas présumer de mon classement, mais c’est pas mal : il n’y a que deux bateaux devant moi. Nous avons maintenant un vent constant de 12 nœuds qui a pris un tout petit peu de nord et une autre partie d’échecs va commencer. »
Armel Le Cléac’h (Brit Air), 7e au classement de 4h00
« Première nuit assez agitée, on a eu pas mal de courants et de vents. Il y avait de quoi faire, des coups à jouer au passage du Cotentin. Maintenant, nous allons passer le cap de La Hague avec le courant favorable et faire un peu de tout droit j’espère pendant les prochaines heures. Pour moi il y a eu du bon et du moins bon, j’ai été un peu gourmand en voulant un peu trop couper le fromage, mais j’aperçois encore les premiers. Donc ce n’est pas trop mal… mais ça aurait pu être mieux ! J’ai fait de petites erreurs. Le vent est encore assez ouest mais on attend une rotation nord-ouest pour pouvoir faire route directe vers Guernesey puis le Four. Ce serait bien de pouvoir se reposer un peu pour attaquer le passage de la pointe Bretagne, normalement dans notre deuxième nuit de course. »
Péron et Tabarly en tête avant Guernesey
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