
Après avoir battu le temps de référence entre Ouessant et le Cap Leewin en 19j 14h 10’, François Gabart va rentrer ce samedi dans le Pacifique. Il lui faudra un peu moins de 9 jours pour rejoindre le Cap Horn. Cela s’annonce plutôt bien s’il parvient à se maintenir en avant d’une dépression qu’il doit aller chercher un peu plus sud. Il maintient son avance à 656 mn qui devrait augmenter ces prochains jours.
Déconcertant de facilité dans sa communication, François Gabart a montrer quelques signes de fatigue après avoir bataillé dans une mer chaotique et du réparer son dessalinisateur tombé en panne.
« Je viens de passer le cap Leeuwin, et ce n’est pas facile en ce moment : je suis dans le dur ! Le vent a certes un peu diminué mais la mer est toujours aussi chaotique. Elle n’est pas très grosse, entre trois et quatre mètres, mais elle est creuse et puissante. Alors je ne peux pas aller exactement où je veux : dans le sens des vagues, c’est quasiment impossible et en travers, le bateau se fait emporter par la mer. L’enjeu est de rester devant le front froid : j’espère que je vais pouvoir suivre le timing de cette dépression… Bien sûr que je suis content d’être arrivé au Sud de l’Australie dans les temps, mais je ne cacherai pas que je suis fatigué» indiquait François, ce vendredi matin.
Et ce tempo façon hard rock devrait encore durer quelques temps ! Six à huit heures difficiles donc pour le solitaire qui va devoir obliquer sur sa droite pour suivre ce flux puissant qui s’oriente au secteur Nord en ne s’essoufflant sensiblement qu’à l’horizon des Cinquantièmes Hurlants. Le skipper va donc devoir replonger vers les eaux et les airs frigorifiques de l’Antarctique…
Et ce nouveau changement s’annonce radical puisque les températures ambiantes vont décroître d’une douzaine de degrés ce jour (acceptables même si le taux d’humidité frôle les 100%) à quelques unités au-dessus du seuil de glace : par 55° Sud (voir 58° S d’après les routages !), le port des gants est obligatoire et il ne faut pas oublier son cache-col lorsqu’on sort prendre l’air ! Car à ces latitudes, le danger est toujours glacé et glacial, non pas flottant sur l’eau mais bien au-dessus lorsque la brise se transforme en blizzard, givrant toutes les superstructures de son brouillard congelant. Comme dans la steppe sibérienne lorsque les arbres implosent sous le poids du givre accumulé sur leurs branches, les frimas de neige et de grésil mêlés s’agglutinent comme des parasites sur tout le gréement, les voiles, les trampolines, les antennes…
Bref, sur tout ce qui accroche flocons et cristaux de glace. Et le poids global peut alors se multiplier par deux ou trois transfigurant un engin aérien et volatile en une plateforme lourdaude et peu manœuvrante… Choisir sa voie autour du monde ne se résout pas seulement à prendre le chemin le plus court ou le plus rapide (parfois le même) : il faut aussi y intégrer l’état de la mer qui plombe les moyennes lorsque les vagues se confrontent à la houle ou que les résonnances sous-marines transmutent une belle sinusoïde en une partition conceptuelle. Et bien sûr les zones de glaces dérivantes, morceaux de banquise fracturée de la mer de Weddell ou de Ross, d’icebergs et de growlers qui viennent parfois lécher la Géorgie du Sud (Atlantique), les Kerguelen (Indien) ou les Macquaries voire le cap Horn (Pacifique). Sans faire l’impasse sur ces conditions de goulag de rééducation digne d’un exil soljenitsynien !
Désormais, l’entrée en Pacifique n’est qu’à un jet de lance-pierres : une grosse journée de mer, soit samedi après-midi. Mais couper cette longitude 146° 49’ marquant le cap South-East de la Tasmanie et définissant la bordure occidentale du plus grand océan de la planète, n’est dans les faits qu’une frontière virtuelle : d’abord parce que le trimaran MACIF va briser le cordeau très probablement à plus de 700 milles dans son Sud, ensuite parce que la véritable « liberté » de route jusqu’au cap Horn ne débute réellement qu’une fois les îles néo-zélandaises parées. Macquarie, Campbell, Auckland, Antipode, Bounty, Chatham sont les derniers fortins de ce rempart antipodien jusqu’aux confins du détroit de Drake.
Encore 2 000 milles à courir avant une véritable pause pour le skipper du trimaran MACIF : un temps de réflexion afin d’élaborer avec son routeur à terre, Jean-Yves Bernot, la meilleure trajectoire pour glisser sur la longue houle pacifique jusqu’à l’Amérique du Sud. Le solitaire a donc encore trois jours tendus et surtout glacials avant le « Cyber Monday ». Alors en ce jour de Thanksgiving, François Gabart n’attend rien de l’Indien mais peut rendre grâce aux albatros qui, en bande avec les pétrels, les sternes et les damiers du Cap, viennent observer cet étrange « extra-merrestre » qui laboure de son plumitif sillon ces eaux aussi vierges et innocentes que le Pères pèlerins débarqués du Mayflower à la conquête du Nouveau Monde.