Les portes des glaces entraînent une nouvelle stratégie de la régate dans l’hémisphère sud face à l’approche traditionnelle sans entraves d’autrefois : « En fait, le rôle de la stratégie disparaît totalement », a affirmé Marcel Van Triest, météorologue de la Barcelona World Race et routeur de nombreux records océaniques. « Si entre chaque porte, on veut emprunter la route orthodromique, on peut descendre très au sud et entrer dans des zones dangereuses ; au nord, il y a les anticyclones de Sainte-Hélène, l’océan Indien et l’océan Pacifique. On a un couloir très étroit pour naviguer et prendre des décisions ».
Lors du Vendée Globe et de la Barcelona World Race 2010/11, certaines personnes ont exprimé leur désaccord au sujet des portes en évoquant différents arguments. Dans la Barcelona World Race, les responsables ont changé les portes établies au départ en les remontant vers le nord pendant le déroulement de la régate. Il y eu a des plaintes de la part de ceux qui avaient prévu un ravitaillement en vivres trop juste, puisque le parcours théorique était augmenté. Toutefois, les principales objections ont été dues aux changements dans la navigation : les portes modifiaient la stratégie initiale par rapport au Grand Sud et obligeaient à naviguer dans des conditions peu habituelles dans cette zone avec davantage de navigation au près et des tempêtes subites quand on se rapproche des eaux chaudes du Nord.
La Direction de Course doit modifier les portes en fonction de l’alerte glace reçue : une fois le premier bateau a franchi une porte, celle-ci ne peut pas être modifiée pour des raisons de cohérence sportive envers le reste de la flotte. Dans l’Atlantique, ceci peut être suffisant, mais dans le Pacifique, lorsque les premiers ont déjà doublé le cap Horn, il peut s’écouler presque un mois d’écart entre le premier et le dernier et ce temps suffit pour que la limite des glaces se soit déplacée considérablement. Juan Vila a ajouté qu’aussi bien la présence de glace que la météo peuvent beaucoup varier dans différentes éditions d’un tour du monde, ce qui donne lieu à des différences non-négligeables en ce qui concerne l’altération sportive dans chaque cas.
Lors du débat a été aussi cité l’avis de François Gabart, pour qui les portes des glaces sont un stimulus sportif : « Je ne crois pas que les portes éliminent l’intérêt stratégique d’un tour du monde, bien au contraire. Elles donnent davantage de points de repère et d’empannages et virements qui doivent être gérés avec la plus grande précision. Mais il est certain que cela n’a plus rien à voir avec les tours du monde d’avant. »
Les zones d’exclusion ou barrières infranchissables sont une autre solution adoptée lors de la dernière Volvo Ocean Race dans le Pacifique Sud. Selon Marcel Van Triest, elles peuvent présenter certains avantages par rapport aux portes, mais elles posent aussi des problèmes : « Les barrières pourraient donner davantage de liberté, mais leur inclusion dans le règlement de la régate devrait être mieux précisée. Que se passe-t-il si on a un homme à l’eau et on doit entrer dans la zone interdite pour le récupérer? Et s’il faut esquiver une tempête et on entre dans la zone d’exclusion? »
Pour Juan Vila, une solution possible serait de combiner les deux concepts : « On peut combiner les portes avec les zones d’exclusion. Les zones d’exclusion donnent davantage d’options de liberté si on peut passer par le sud, mais dans ce cas, il faut veiller à ne pas trop s’éloigner des aires de sauvetage. »
L’esprit du Grand Sud en question ?
Les navigateurs, les communicateurs et les amateurs estiment amplement que, en limitant la descente dans le sud, l’esprit d’aventure et de dureté qu’ont toujours eus les tours du monde est dénaturalisé. Les images à bord des premières circumnavigations, avec les ponts couverts de neige, des glaçons dans la bôme et des mers aux eaux foncées dont émergeaient de menaçants icebergs, ont considérablement contribué à créer l’idée mythique du tour du monde «par les trois caps.
Juan Vila, qui cumule quatre tours du monde et a remporté le dernier trophée Jules Verne à bord du Banque Populaire V aux côtés de Loïck Peyron – est plutôt partisan de la navigation sans limites ; ainsi que Marcel van Triest, qui a aussi fait quatre fois le tour du monde et a été le routeur à terre de Banque Populaire V : « De même que Juan, j’appartiens à la génération qui a le goût de la liberté. J’ai navigué beaucoup de fois entre les glaces et c’est très beau. » Mais on reconnaît aussi que beaucoup de navigateurs chevronnés apprécient les portes comme mesure de sécurité, comme Vincent Riou, Jean Le Cam et Marc Guillemot. Le danger de la glace est réel et il existe un commun accord pour protéger les navigateurs. Dans ce sens, l’évolution technologique de la détection marquera sans doute l’évolution des critères à suivre lors des prochains tours du monde.
L’augmentation de la sécurité qu’assurent les portes des glaces, quoiqu’évident, est relativisé par le danger de collision avec un OFNI, un fait qui, au vu des statistiques, entraîne un danger beaucoup plus tangible. Lors des deux dernières éditions du Vendée Globe, les collisions avec des OFNIS ont causé l’abandon de six participants, tandis que les collisions avec les glaces flottantes se bornent à celle de Sébastien Josse en 2008 qui a rapporté uniquement des dégâts dans son beaupré. Jean Luis Valdés a signalé ici des données réellement inquiétantes : « Chaque année quelque 10 000 conteneurs se perdent en mer, dont beaucoup sont semi-submergés. Après le tsunami du Japon, une quantité énorme d’ordures solides – environ 5 millions de tonnes – a été charriée dans le Pacifique : voitures, électroménagers, conteneurs… » Il est devenu évident que les solutions pour éviter le danger de collision avec les OFNIS dépendent du développement des systèmes de détection à bord. Comme l’a signalé Juan Vila : « Pour les OFNIS il n’existe encore rien de tangible, mais nous espérons avoir à l’avenir des systèmes infrarouges, des émetteurs d’ondes acoustiques ou radio, ou autres dispositifs permettant de détecter la présence d’objets flottants ».
Source : Barcelona World Race