Le physique et le mental font la différence

Au large du Cotentin
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Cela fait 25 ans que le docteur Jean-Yves Chauve officie sur La Solitaire. Les contraintes d’une épreuve aussi redoutable que celle-ci, il les connaît. Selon lui, cet exercice est contre nature en termes de sommeil et de nutrition.  « Le marin est l’antithèse d’une bonne gestion de la santé. Il fait subir à son être une torture quotidienne, l’alimentation est désynchronisée, il est sous-alimenté de façon volontaire et ne dort que très peu. »

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Sur une étape de La Solitaire, jusqu’à 1000 calories peuvent être dépensées par tranche de 24 heures, simplement pour rester en position verticale. Le besoin quotidien se monte ensuite entre 3500 et 5000 calories. Cependant, il n’est pas rare que certains se contentent de 1500 calories. Paradoxalement, cette restriction alimentaire permet à quelques uns de décupler la vigilance, l’agressivité et l’envie d’aller plus loin. « Cette « technique » est une mise en route de réflexes ancestraux qui remonterait à la préhistoire » nous explique Jean-Yves Chauve.

Souvent la préparation du marin passe par une phase d’analyse de son sommeil. Théoriquement, des tranches de 20 minutes sont suffisantes pour recharger les batteries. Il faut pour cela tomber le plus rapidement possible dans ce sommeil réparateur en écartant les phases de pré endormissement, trop longues à mettre en place et inutiles dans la vie du navigateur. Une autre méthode de récupération consiste à un « endormissement flash » comme le faisait le peintre Dali. Quelques secondes peuvent donc suffire pour se déconnecter et évacuer le stress. Mais gare aux hallucinations qui peuvent survenir assez rapidement. « Pour la petite histoire ne pas dormir pendant 16 heures correspond à 0,5 g d’alcool dans le sang, 24 heures 1 g d’alcool. »

Il est probable que les marins les moins expérimentés se mettront dans le rouge pendant ce mois de course. De longues heures de veille où le corps souffre et la vigilance est mise à rude épreuve.« On ne peut pas être vigilant sur sa propre vigilance, » avoue Jean-Yves Chauve. 

Allo Docteur ?

« En moyenne, deux fois par jour, je reçois des appels VHF pour diagnostiquer des petits bobos. Le plus souvent, ce sont des problèmes aux chevilles, aux mains, ou bien des conseils pour des médicaments. Chaque skipper dispose d’une trousse à pharmacie identique. En 25 ans, il m’est arrivé d’intervenir deux fois à bord des Figaro, » concluait Jean-Yves Chauve.

Ils ont dit :

Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012) : « Le physique a tendance à se dégrader au fil de La Solitaire avec la fatigue, la nutrition. Si on gère mal ces deux paramètres, si on ne s’hydrate pas assez, ça peut-être problématique. J’essaye d’avoir de la rigueur dans mon fonctionnement. A partir de demain par exemple, je vais aller tous les jours chez les kinés. Et puis j’ai appris à naviguer à l’économie physique, à naviguer sans forcer. Mettre la grand-voile au winch sur les longs bords, lofer un peu pour border les voiles. Ce sont des petits détails mais au bout d’un mois de course, ça joue. »

Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : « Le physique et le mental vont l’un avec l’autre. Quand tu es fatigué, tu n’as pas le moral. Depuis quelques années, pendant la course, j’essaye de faire des points toutes les 24 heures où je fais le bilan de ce que j’ai mangé, j’écris sur un papier combien de temps j’ai dormi. Et puis sur le bateau, avec mes problèmes de dos, je fais des étirements, je suis très rigoureuse là dessus. Cet hiver, pour être en forme, j’ai fait du sport à bloc et j’ai pris du poids. Je me sens mieux sur le bateau quand je me sens « lourde », que j’ai quelques réserves. »

Yann Eliès (Groupe Quéguiner – Le Journal des Entreprises) : « Pour résister au sommeil, il faut être en forme physiquement. Par contre, je pense que pour parvenir à dépasser ses limites, pour se transcender sur le dernier mètre ou la dernière heure de course, c’est dans la tête que tu vas le chercher. J’ai pas mal bossé avec des préparateurs mentaux pour arriver à bien gérer les fins d’étapes et j’ai des marqueurs : pour éviter de dormir, pour pousser plus loin dans l’absence de sommeil, je pense à quelqu’un ou à quelque chose. Et ça marche ! Oui, je me suis déjà mis dans le rouge. C’était sur ma première Solitaire, mon pilote était tombé en panne et j’ai essayé de résister. Et puis au bout d’un moment, j’ai vu mon frère qui manœuvrait à l’avant sur le pont. Là je me suis dit : « c’est pas bon, il y a quelque chose qui cloche ».

Frédéric Duthil (Sépalumic) : « Depuis quelques années, le niveau de prépa physique des marins a vraiment augmenté. Nous avons tous un fond physique hyper correct, nous sommes vraiment des sportifs. Mais pendant une étape, je pense que c’est dans la ‘tronche’ que ça se joue, à 80 %. Physiquement, les seuls trucs qui peuvent te faire mal, ce serait d’enchaîner trois envois de spi dans l’heure et encore, ce n’est pas démesuré. La faculté à se faire mal mentalement prévaut sur le physique. Il faut avoir l’envie, la motivation. Et certains ont toujours plus faim que d’autres. »