Dispersons-nous ! À peine ont-ils rejoint la mer Ionienne qui sépare l’Italie de la Grèce que les 28 solitaires engagés dans l’étape la plus hauturière de cette Cap Istanbul ont rompu les rangs pour s’étaler en latitude. À ce petit jeu de l’éparpillement en latéral, deux groupes se sont formés.
D’un côté, aux abords de la route directe progressent désormais tous ceux qui ne veulent plus jouer gros sur le dos de cette Méditerranée qui leur en a déjà fait voir de toutes les couleurs. De l’autre, 50 milles plus bas, s’échappent à présent les plus opportunistes qui ont vu et cru en des vents portants plus établis favorisant la glisse et la progression vers l’est de cette mer Ionienne aux calmes tant redoutés.
Éviter les molles
Sur l’eau, la question dans l’air du temps prend en effet l’allure d’une boutade : « Mais Eole, où sont tes molles ? »
Une fois n’est pas coutume, la réalité a encore fait mentir les prévisions qui annonçaient le pire avec un vent faiblissant et des risques de calmes persistants. La pétole ? Pas vue, pas prise… Pour l’instant tout du moins.
Le classement du matin, lui, reste sur ses gardes. Il joue encore dans les deux camps : il place l’un des plus fiers représentants du sud en tête, suivi à 5 milles par rapport au but par Fred Duthil sur Distinxion Automobile, qui avance dans les parages de l’orthodromie. Ce dernier joue la prudence, la vigilance et la persévérance face aux incertitudes du temps. «On ne sait pas trop quelle va être la météo, elle est très aléatoire et à quelques mètres près on est sûr de ne pas avoir le même vent que les petits copains. J’ai préféré privilégier la route directe, je ne voyais pas trop ce qu’il y avait à chercher au sud. On verra bien ce qu’ils y ont trouvé. Cette course sera indécise jusqu’au bout. J’essaye d’avancer sans me poser trop de questions et surtout d’être plus philosophe… », confie-t-il quand on le croise sur l’eau.
En fin de matinée, le vent commence alors à faire des siennes. Il refuse, mollit à mesure que le ciel se charge de cumulonimbus, révélateurs d’une forte activité nuageuse favorable au retour d’un flux de portant plus soutenu. Voilà une petite molle ! La vitesse de Distinxion Automobile chute à 2 nœuds. Quelques heures plus tard, il a sorti son spi orange et bleu, il progresse à 9 nœuds, mais il accuse déjà du retard sur le groupe du Sud qui a déjà pris la poudre d’escampette. Le classement de 16 heures vient le confirmer. Fred Duthil a perdu dix places dans la bataille. Mac Emig (Capitol), Gérald Veniard (Macif) ou encore Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier), qui ont joué la route directe, progressent désormais en arrière de la flotte. Une molle, et le mal est fait !
Sûr du Sud ?
Plus bas, sous le vent de la flotte, Thierry Chabagny raconte une toute autre histoire. Ce joueur de poker réputé a tenu parole : il s’est révélé offensif. Il a écouté son instinct et joué d’emblée un coup d’attaque. «Depuis le départ, j’avais envie de privilégier cette route sud qui me semblait plus sûre au niveau de la force du vent. Comme on s’attendait à traverser des zones de vent faible sur la route, j’ai pris le parti de plonger pour avoir plus de pression », confie-t-il. Et d’ajouter : «Cette nuit, j’ai fait un peu de route directe pendant un moment, c’est pour cela que je suis en tête je pense. On dit toujours qu’en Méditerranée il ne faut pas trop investir parce qu’on est jamais sûr du résultat. On va voir avant la fin de la journée comment ça se passe. Mais je regarde plus les coureurs comme Erwan Tabarly qui sont à ma droite et plus sud que moi, plutôt que ceux qui sont plus au nord qui font une route directe mais dans un vent plus faible. C’est toujours mieux d’avancer, là c’est plutôt agréable, les conditions sont sympas malgré les quelques orages de cette nuit. » On le sait, tout ce qui est pris, n’est plus à prendre et en Méditerranée peut-être plus que nulle part ailleurs…