La renaissance d´une première

Transat Jacques Vabre 2005
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Les dix années entre 1975 et 1985 furent les « années folles » de la voile océanique : le grand large avait donné des ailes à tous les secteurs du nautisme. Les constructeurs passaient du lamellé-collé et de l’aluminium aux matériaux composites, les architectes épuraient les formes et allégeaient les structures, les ingénieurs adoptaient les foils et les mât ailes, les électroniciens développaient la balise Argos, l’électronique embarquée, amélioraient les pilotes automatiques… Et les organisateurs de course inventaient de nouveaux formats, cherchaient de nouveaux horizons, exploraient de nouveaux parcours. Car il n’y avait alors que deux grandes courses océaniques : l’Ostar, la plus ancienne réservée aux solitaires entre Plymouth et Newport, et la Whitbread, le tour du monde en équipage avec escale, qui a initié les marins aux grandes houles du Sud…
Les courses au large avaient la cote, de l’Admiral’s Cup à la Solitaire du Figaro, de Sydney-Hobart aux régates du SORC, mais l’envie d’aller plus loin était dans l’air du temps : la Mini Transat voit le jour en 1977, la Route du Rhum est créée en 1978, la Transat en double en 1979, La Baule-Dakar en 1980, les Trophées des Multicoques, les Grand Prix et autres Multi Cup rassemblent des flottes disparates, la course en équipage Québec-Saint Malo lance les maxi multicoques en 1984, la Route de la Découverte, la Course de l’Europe… Le monde de la course était en effervescence !

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Premières paires de mer

Mais dans les années 80, la plupart des épreuves océaniques sont réservées aux solitaires : peu de courses emmènent des équipages et aucune des duos, à l’exception du Tour des îles Britanniques. Gérard Petipas figure emblématique de la voile, invente ainsi la première course transatlantique réservée au double. Deux femmes, deux hommes, un homme et une femme, le format est original car il permet à des solitaires de mener plus à fond leur machine, d’emmener à leur bord des régatiers réticents au solo, de jouer sur ces « mariages » temporaires pour les médias. Mais non content d’imaginer un style de navigation novateur, Pen Duick inaugure un point de passage inhabituel, Les Bermudes, et non pas comme escale mais juste comme marque de parcours : l’arrivée se juge en effet pour la première fois dans le port du départ, Lorient. Un mois à un mois et demi de mer au programme pour avaler les 5 780 milles de la course en plein mois de juin, c’est-à-dire à une époque où il faut traverser par deux fois l’anticyclone des Açores.
Et pour rajouter une couche d’innovation, une balise Argos est installée sur chaque bateau : la progression des voiliers pour la première fois de l’histoire d’une course océanique, plusieurs fois par jour suivie à terre ! Tactique, stratégie, météo, communications avec le PC Course… le suivi médiatique est nettement plus facile même s’il faut encore passer par Saint-Lys Radio pour avoir des nouvelles des bords.

Pour un centième de temps

Ils sont quarante en 1979 au départ de la première transat en double Lorient – Les Bermudes – Lorient, répartis en monocoques et multicoques de 12 à 23 mètres et plus. Mike Birch, Eric et Patrick Tabarly, Jean-Marie Vidal, Eugène Riguidel, Marc Pajot, Michel Malinovski, Philippe Poupon, Loïc Caradec, Chay Blyth, Gilles Gahinet, Florence Arthaud, Alain Gabay, Philippe Monnet, les frères Carpentier, Yves Le Cornec, Olivier de Kersauson, Jean-Claude Parisis… le plateau présent au départ ferait encore les grands jours des courses actuelles ! Et côté innovations, personne n’est en reste : les foils sont légion, de Paul Ricard mis trois semaines plus tôt à l’eau, à VSD et ses petits profils d’appoint, à Hydrofolie et ses appendices escamotables…
Personne ne connaît le parcours, le plus long pour une transat, l’équivalent d’une étape du tour du monde, à une époque inédite (mai-juin) pour une marque de parcours intermédiaire entre Newport (Ostar) et les Antilles (Rhum), avec la possibilité de faire un arrêt technique pour réparer. Et à l’arrivée, après plus d’un mois de mer, se profilent à l’horizon, derrière l’île de Groix, un spi rouge et blanc tout juste réparé par Eric Tabarly et Marc Pajot, et un spi arc-en-ciel, celui d’Eugène Riguidel et Gilles Gahinet qui concédaient pourtant plus de soixante heures de retard aux Bermudes pour cause de bôme cassée. Les deux trimarans se tirent le bourre dans les Courreaux, Paul Ricard allant jusqu’à lofer VSD, mais le plan Kelsall plus léger, fait la différence sur les derniers milles pour s’adjuger la victoire avec… 5 minutes et 42 secondes d’avance ! Soit un peu plus d’un centième du temps de parcours.
La transat en double a passionné les foules, enthousiasmé les coureurs, clôturé le débat mono-multi, développé une nouvelle approche de la stratégie avec le suivi Argos, attiré les médias non spécialisés. Mais dans ce foisonnement des années 80, les courses océaniques se multiplient et le rythme quadriennal n’est pas toujours respecté : une seconde édition aura lieu en 1983 marquée par l’arrivée des maxi multicoques et remportée par Pierre Follenfant et Jean-François Fountaine (Charente Maritime) devant Eugène Riguidel et Jean-François Le Ménec (William Saurin).

Troisième édition

Retour vers les Bermudes donc en 2007 pour une course toujours en double, toujours Open, ouverte aux monocoques de 40, 50 et 60 pieds et aux multicoques de 50 et 60 pieds. Toujours sans escale mais avec la possibilité d’un arrêt technique aux Bermudes, soit 5 780 milles. Toujours au printemps (mai-juin), soit une période « météorologiquement » parlant assez imprévisible à cause de l’anticyclone des Açores qui a tendance à monter sur l’Europe.
Bref, tous les ingrédients qui ont fait le succès de la Transat en double Lorient – Les Bermudes – Lorient, seront au rendez-vous grâce au soutien de Cap l’Orient et du Conseil Régional de Bretagne. Un nouveau concerto pour duos qui va étoffer le programme des monocoques IMOCA et des multicoques ORMA, mais aussi mettre sur le devant de la scène, les nouveaux 50 pieds multicoques et monocoques, ainsi que la Classe 40, cette toute jeune série en pleine expansion.

Transat en double Lorient – Les Bermudes – Lorient 1979 :
1-Eugène Riguidel & Gilles Gahinet (VSD) en 34 jours 06 heures 31 minutes
2-Eric Tabarly & Marc Pajot (Paul Ricard) à 5 minutes et 42 secondes
3-Mike Birch & Jean-Marie Vidal (Télé 7 jours) à 7 heures 

Transat en double Lorient – Les Bermudes – Lorient 1983 :
1-Pierre Follenfant & Jean-François Fountaine (Charente Maritime) en 22 jours 09 heures 12 minutes
2-Eugène Rguidel & Jean-François Le Ménec (William Saurin) à 1 heure 28 minutes
3-Patrick Morvan & Jean Le Cam (Jet Services) à 2 heures 43 minutes

D. Bourgeois