La horde aux trousses du petit Nicolas

Nicolas Lunven - Solitaire du Figaro
DR

« La place, on s’en fout. Ce qui compte c’est le temps. » Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile, 17e à 1h08) est un pragmatique jeune homme. En treize mots, il résume l’essentiel. Car voilà : La Solitaire du Figaro – c’est aussi ce qui fait son charme – est une course au temps, pas aux points. Donc une course lisible par le public, à l’image du Tour de France cycliste. « Le premier arrivé gagne, celui qui met le moins de temps à couvrir l’ensemble de l’épreuve remporte le général, c’est aussi simple que ça », résumait le créateur de l’épreuve, Jean-Michel Barrault, en 1970.
Alors, outre le brossage d’ego dans le sens du poil que vaut une place sur le podium d’étape, outre aussi les deux coups de semonce vivifiants d’un Nicolas Lunven (CGPI) qui vient bousculer la hiérarchie et se hisser au sommet du classement général au nez et à la barbe des cadors annoncés, outre enfin l’évidence qu’un peu d’avance vaut mieux qu’un peu de retard, le constat est simple et tient en quatre mots, cette fois : rien n’est joué. Ils sont au moins une vingtaine à pouvoir encore espérer une place sur le podium final de Dieppe, dans quinze jours.

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A égalité avant les montagnes

Que disent les chiffres ? D’abord que le podium tient en 24 minutes et que ni Yann Elies (Generali, 2e à 17 minutes), ni Armel Le Cléac’h (Brit Air, 3e à 24 minutes) ne paraissent disposés à y laisser monter les petits copains. Ils disent aussi que cette deuxième étape entre La Corogne et Saint Gilles Croix de Vie n’a fait que réduire à petit feu des écarts déjà infimes en Espagne à l’issue de la première étape. Ils sont six en une demi-heure, treize en moins d’une heure et vingt en une heure et demie ! Parmi eux, on retrouve les six anciens vainqueurs de La Solitaire, accompagnés d’une bonne brochette de vainqueurs d’étape ou de classement des bizuths. Dans ce « Top 20 », ils ne sont que cinq à n’avoir pas encore gagné un titre de gloire majeur sur l’épreuve : Erwan Tabarly (Athema, 9e à 39 minutes), Nicolas Bérenger (Koné Elevators, 11e à 42 minutes), Thomas Rouxel (Défi Mousquetaires, 14e à 1h06), Armel Tripon (Gedimat, 19e à 1h30) et Alexandre Toulorge (Audition Santé, 20e à 1h33).

Autrement dit encore, du haut de ses 26 ans et du sommet du classement Nicolas Lunven contemple quelques pyramides sacrées de palmarès. Tous les ex vainqueurs sont là, donc, de Nicolas Troussel à Eric Drouglazet et de Charles Caudrelier Benac à Jérémie Beyou en passant par les sieurs Armel Le Cléac’h et Michel Desjoyeaux. Les deux premiers du Vendée Globe sont donc derrière lui… mais assez proches pour qu’il sente leurs souffles rauques sur sa nuque. Il sait cela : « quand je vois le classement général, c’est très serré en temps. Or il nous reste deux étapes énormes sur lesquelles, potentiellement, il peut y avoir des écarts monstrueux. Donc, 30 minutes d’avance, ce n’est rien. Je sais que je peux prendre cinq heures sur l’étape qui vient… ».

N’empêche qu’il faudra être au moins aussi gourmand que l’Alceste de Sempé pour aller chercher le Petit Nicolas sur son nuage. Charles Caudrelier Benac (Bostik) a sa petite idée sur le sujet : « je suis 4e à 27 minutes, c’était aussi ma position juste avant de courir la troisième étape quand j’ai gagné La Solitaire, en 2004…» Ils sont une vingtaine comme cela, de grands méchants loups à se dire que La Solitaire (re)commence lundi, chacun pour soi et l’envie pour tous. Une vingtaine à fourbir leurs armes en se disant que rien n’est joué, que tout reste à faire, qu’ils remettraient volontiers au pas cette insolente jeunesse qui ne respecte plus rien. A savoir qu’il faudra se faire mal pour cela, se battre jusqu’au bout. Charles Caudrelier Benac, encore : « le niveau est tellement élevé que si tu n’es pas le plus agressif, il y aura toujours quelqu’un dans les vingt petits camarades qui va l’être et va gagner. A un moment, il faut bien réaliser qu’avec les bons, c’est la guerre pour gagner un mètre…» La bagarre (re)commence lundi. Elle sera énorme. Et délicieuse.

BM

Ils ont dit

Nicolas Lunven (CGPI, leader au général) : objectifs à la hausse ?
« J’ai dit à l’arrivée de la première étape que le contrat était rempli, c’est vrai… Bon, maintenant, je vais être obligé de modifier le contrat ! C’est génial d’être en tête, mais je ne m’en préoccupe pas trop. J’étais venu sur La Solitaire avec l’objectif de faire dans les dix.»

Yann Eliès (Generali, 2e au général) : « j’ai subi »
« En partant de La Corogne, j’avais de la fièvre, donc, pendant l’étape, j’ai subi. J’ai dormi quasiment les deux nuits, je n’étais pas bien. Quand t’es dedans, t’as un peu les boules parce que tu vois que tu n’as pas les armes pour te battre. A l’arrivée, 17 minutes de retard sur le premier… je ne m’en sors plutôt pas mal. Je hais ces étapes où t’es collé à la barre pour ne rien gagner. Parce que mine de rien, si t’étais mal placé, t’avais beau astiquer pendant deux jours, ça changeait pas grand-chose au classement. Ce qu’il fallait, c’était être bien placé et moi j’étais mal dès le début, donc de toute façon, je savais que ce ne serait pas en ma faveur. Ensuite, j’ai subi. Je n’allais pas me mettre plus mal encore que ce que j’étais déjà. Il fallait essayer de dormir, de récupérer. »

Charles Caudrelier Benac (Bostik, 4e à 27 minutes) : « la guerre pour gagner un mètre »
« Voilà, je n’ai plus que 3 places à grappiller. Les bateaux demandent tellement d’énergie pour aller vite… dès qu’il y en avait un qui mettait le pilote, je le voyais tout de suite et je gagnais énorme… ça ne pousse pas à aller se coucher ! Ensuite, on va jusqu’au moment où on ne se rend même plus compte de la fatigue et on arrive à un point de rupture. Le problème est qu’on ne le réalise qu’après. Là, à l’arrivée, je me suis rendu compte que j’avais déconnecté. On peut vite paniquer parce qu’on est fatigué, la moindre petite chose peut prendre des échelles importantes. »

Michel Desjoyeaux (Foncia, 8e à 37 minutes) : « ça se joue au pouillème »
« Pour vous donner un ordre d’idée de la difficulté : à un moment, j’allais à peine moins vite qu’Armel (Le Cléac’h) qui était juste à côté de moi. Je ne comprenais pas pourquoi. En fait, j’avais une petite garcette (cordelette) de 5mm de diamètre et d’un mètre de long coincée dans le safran. Voilà où on en est aujourd’hui. Ce n’est même pas de l‘ordre du dixième de nœud. Sur ce coup là, Armel a dû me mettre quatre longueurs en une demi-heure. Ce n’est rien. En pourcentage de vitesse, cela fait des pouillèmes. Mais une fois que t’as perdu ces longueurs, tu sais qu’il va te falloir quatre ou cinq heures pour les récupérer ! »