Tant que l’on a été à se tirer la bourre, à vue dans le golfe de Gascogne, ce n’était pas trop différent de d’habitude. Mais, une fois la pointe du Portugal et le convoi de cargos qui l’accompagne passés ; quand on s’est retrouvés éparpillés dans la grosse houle qui donne l’impression de se pencher par dessus le balcon quand on est en haut de la pente, avec une ETA à 8 jours, les données ont un peu évolué…
La prise de conscience pour beaucoup d’entre nous s’est effectué précisément lorsque nous avons entendu à la VHF, en substance, à quelques centaines de milles du cap Finisterre :
– « J’ai perdu un safran dans un choc avec un objet flottant, je ne peux plus continuer la course, comment ça se passe, vous venez me remorquer ? »
– « Ici bateau accompagnateur, Non mon gars on viendra pas te remorquer on est là pour assurer la sécurité des personnes, tu n’es pas en danger physique, on va passer te voir et tu vas rentrer au Portugal comme un grand (au près / mer forte), donne-nous ta position exacte. ».
Et, quelques heures plus tard, avec un autre qui avait démâté. « on va venir, t’aider à faire un gréement de fortune si nécessaire et après tu rentres ». Dans la tête, c’est clair. On passe en mode « Il te reste 1000 milles avant Horta et tu dois te débrouiller seul pour aller au bout ». Je peux vous assurer que quand on fait des pirouettes, on est sacrement content de se remettre sur la route sans avoir rien cassé. Il arrive aussi des trucs qui font rire à l’étape, quand un copain avoue (en fin de soirée) que, sous spi bien sûr, son pilote a décroché alors qu’il était à l’intérieur, pantalon aux chevilles au dessus de son seau. La gestion des priorités est parfois tout un art.
Et on a des surprises aussi. Comme le jour où, bien au large, je chantais à la barre à fond sous spi avec le MP3 dans les oreilles. Je tourne la tête : un cargo ! Un gros et tout près en plus.
Je saute sur le 16. Il répond, m’avait pas vu non plus et me dit qu’il va passer à gauche. Cool.
Sauf que regardant devant moi, qu’est ce que je vois ? Une baleine qui va droit sur moi. Là aussi, une qui a l’air bien grosse et bien près. Ah, non pas la baleine ! C’est la première fois que j’ai slalomé entre un cargo et un cétacé. Un peu chaud mais ça aurait sans doute fait une jolie photo.
En parlant de rencontres, L’autre Super-Câlin en course avait un safran amoureux qui s’est barré avec sa dulcinée (une tortue, sans doute) à plus de mille milles du bord.
Je l’ai trouvé sous voilure très réduite, ballotté par la houle, en train d’essayer d’étancher la voie d’eau de son tableau ouvert. La course semblait cuite pour lui.
Un navire accompagnateur prévenu devait arriver et son équipage l’aiderait bien mieux que moi.
J’ai repris ma route et renvoyé peu à peu de la toile pour reprendre ma course. Le laissant, certes entre de bonnes mains, mais petit point s’éloignant sur l’horizon. Cela restera pour moi une des images les plus marquantes de cette course. Les jours suivant je n’ai cessé de vérifier les miens de safrans, sortant du bateau au moindre bruit suspect.
Quand à Dominique, Il a réparé et fini le parcours sur une seule patte, et classé. Je lui tire mon chapeau. Alors, effectivement, quand tout se passe bien, on reste dans une logique de performance et on ne parle que de course (déjà bien exigeante). Mais la frontière est bien mince entre cette course et d’autres trajectoires bien moins évidentes. Et c’est pour cela que la course au large et le mini (VHF et BLU only) en particulier sont et resteront des aventures, quoi qu’on en dise.
Matthieu Girolet