IDEC SPORT navigue ce matin au beau milieu de nulle part, en plein Atlantique. Sur son bâbord, la Sierra Leone est à 900 milles. Sur son tribord, le Brésil est à 1500 milles. Traduit en langage terrien : à gauche les premières terres du continent africain sont à plus de 1600 kilomètres, à droite celles de l’Amérique du Sud à près de 2800. Au dessus des abysses (5000 mètres de fond sous les coques, pas le moment d’ échapper sa gourmette) Francis Joyon et ses hommes entrent dans la zone de convergence intertropicale. Les météorologues l’appellent ZCIT, les marins, gens de lettres, préfèrent l’expression plus fleurie de Pot au noir et tous les jeux de mots qui vont avec de la fortune du Pot à pas de Pot, peu de Pot… on en passe et des meilleurs.
Bref. Tout cela n’est pas si anecdotique. Car le Pot au noir est avant tout zone d’incertitude. Pour résumer, c’est là que s’affrontent les systèmes météo des deux hémisphères. Ce qu’on y trouve est rarement réjouissant, toujours incertain. En clair alternance de grains, de soleil et de pluies diluviennes, gros nuages noirs chaleurs tropicales et surtout… zones avec vent et zones de pétole molle. En course en flotte, on peut très bien y rester encalminé pendant qu’un concurrent pourtant tout proche file à grande vitesse. Voilà pourquoi Bernard Stamm – qui collectionne les tours du monde comme on enfile des perles – dit de lui « de toute la planète, c’est la zone que je redoute le plus ».
240 milles d’avance
Rien n’est sûr dans ce magma météo si ce n’est qu’on a envie d’en sortir le plus vite possible. Le but du jeu (n’oublions jamais que c’est un jeu !) est de tenter de traverser le Pot à l’endroit où il est le moins épais autour de l’équateur. Voilà pourquoi IDEC SPORT est ce matin par 27° ouest, le point de passage le moins pénalisant se situant statistiquement entre cette longitude et 30° ouest. Voilà pourquoi IDEC SPORT est ralenti depuis 4h30 heure française ce jeudi, progressant autour de 20 nœuds contre des moyennes de folie sur les dernières 48 heures, à 32 nœuds et plus.
Reste qu’avancer à 20 nœuds dans cette zone, c’est déjà très bien ! Surtout quand on se souvient de toute récente Transat Jacques Vabre, voilà quelques semaines, quand les concurrents ont été contraints de tirer des bords de près face au vent, à des vitesses extrêmement faibles ! « Normalement, le Pot n’est ni très actif ni très épais pour nous, rien à voir avec ce qui s’est passé sur la Transat. Je pense que ça devrait bien se passer » rassurait hier Francis Joyon, pendant la vacation en direct du bord. Pour le moment, le coup de frein est net mais tout relatif et très loin d’être catastrophique. Certes, le matelas d’avance sur le chrono à battre a rétréci d’une quarantaine de milles, mais rien de plus normal. Il reste tout de même 240 milles de capital dans la besace, près de 450 km. Cela permet aux six hommes d’IDEC SPORT de voir venir et d’envisager l’avenir proche avec confiance. Après quatre jours de mer, l’équateur n’est plus que 350 milles devant les étraves. C’est tout simplement du jamais vu.
Un requin dans le safran !
Hier l’équipe s’est faite une petite frayeur. « J’étais à la barre et d’un seul coup j’ai senti qu’elle ne répondait pas bien » explique l’Allemand Boris Herrmann, « Bernard est allé voir, nous avions un requin coincé dans le safran central !» L’épisode prête à sourire, mais il a tout de même ralenti IDEC SPORT pendant de longues minutes car il a fallu s’arrêter face au vent rouler les voiles, dégager le squale, puis renvoyer de la toile pour repartir. «Nous avons vérifié les appendices ensuite » rassure Francis Joyon, mais tout va bien, j’espère que nous n’avons pas fait mal au requin mais lui en tous cas n’a pas fait mal au bateau. On a tout vérifié et il n’y a pas de souci, ça s’est bien passé ». D’autres soucis techniques ? « Bah, on a juste cassé un réchaud à gaz » répond Clément Surtel.
Joyon : « tout le monde a la banane»
A part ça ? « Et bien là on est à 30/32 nœuds sur la route directe et on espère que ça va continuer le plus longtemps possible » dit un Francis Joyon plus que satisfait de suivre une trajectoire aussi rectiligne, rapide et économe en milles par rapport à la route directe. « Sur mon tour du monde de 2007, j’avais eu une trajectoire assez propre aussi, mais celle-ci est encore plus rapide. On est complètement dans les temps du record, on a même de l’avance, c’est sympa, ça met la banane à tout le monde ! Malgré la fatigue, on est vraiment contents d’être là. Et avec les gars tout va bien, l’ambiance est très bonne. Il faut leur poser la question à eux, mais pour l’instant ils ne m’ont pas jeté par dessus-bord…. »
On n’en trouvera évidemment pas un seul pour contredire Francis. « On arrive ici dans un temps incroyable, dans des températures tropicales, c’est très bon » souligne Boris Herrmann avant de repréciser l’organisation du bord : Francis hors quart et les cinq autres qui se relaient toutes les heures et demie, de manière à pouvoir s’accorder des temps de repos de trois heures consécutives. « J’ai du mal à réaliser qu’on part pour 45 jours, les deux premiers étaient très impressionnants, ça tapait et ça vibrait beaucoup, c’est assez incroyable sur des bateaux de cette taille. On se fait bien plaisir à barrer le bateau, on profite aussi de paysages et de nuits magnifiques » raconte encore « Guéno » Gahinet.
Tous sans exception racontent leur bonheur d’être là, à fond, cherchant à exploiter au mieux le potentiel du grand trimaran rouge tout en appréciant l’immensité atlantique. Rigolard, le catalan Alex Pella demande qu’on lui envoie les résultats du grand Barça, le Football Club de Barcelone, et assure : « tout se passe super bien, on fait une très belle descente, avec des très belles conditions. Voilà. C’est un bonheur ! » Tout est dit, ou presque. On allait en oublier le premier chrono intermédiaire à l’équateur dont le temps de référence est de 5 jours et 15 heures. Il sera pulvérisé. A 14h30, IDEC SPORT n’était plus qu’à environ 800 milles de l’hémisphère sud. En trois jours et demi et à une moyenne de vitesse permettant d’avaler 725 milles par 24 heur! es. On vous laisse sortir la calculette.