A mesure qu’il approche de la ligne d’arrivée, François Gabart semble perdre une part de son insouciance des premières semaines de course. Passer progressivement du statut d’outsider à celui de favori désigné n’est pas forcément la plus simple des mues. On imagine bien que, pour le skipper de MACIF, les quelques jours à venir ne seront pas forcément les plus agréables, entre la perspective de plus en plus crédible d’une victoire et la hantise du grain de sable qui viendrait perturber la belle mécanique. D’autant qu’Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), lancé à ses trousses, n’a pas la réputation de renoncer facilement. Si la moindre opportunité se présente, nul doute que le navigateur de Saint-Pol de Léon la saisira. Encore faut-il que François Gabart laisse une ouverture. Quelle que soit l’issue du duel, les deux navigateurs peuvent déjà se dire qu’ils ont réalisé une course d’exception, imprimant un rythme inédit sur ce tour du monde : une manière de faire baisser la pression qui ne manquera pas de tomber sur leurs épaules dans les prochains jours.
A l’approche des Açores, la situation est toujours aussi complexe. La barrière anticyclonique est particulièrement délicate à négocier et peut encore relancer la donne. A surveiller pourtant, un petit front, issu des basses pressions de Terre-Neuve, qui pourrait ouvrir un chemin au travers des hautes pressions. En contournant l’archipel par l’ouest, les premiers pourraient espérer récupérer ensuite un flux perturbé jusqu’à l’arrivée. Autant dire que les deux leaders vont observer l’évolution des cartes isobariques et des fichiers de vent avec une attention particulière.
Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) et Alex Thomson (Hugo Boss) semblent devoir échapper au sort qui affectait parfois les navires négriers qui pouvaient rester englués plusieurs jours durant dans le pot au noir. Les cumulonimbus les ont relativement épargnés, même si Jean-Pierre est resté bloqué plus de trois heures durant, la nuit dernière, sous un grain chargé de pluie. Pour ces deux-là aussi, l’avenir est incertain. Alex peut d’ores et déjà avoir la satisfaction d’avoir résisté, avec un monocoque d’ancienne génération, à l’offensive des derniers-nés du groupe d’architectes Verdier-VPLP. Jean-Pierre, victime de soucis techniques à répétition sur ses hooks et drisses de voiles d’avant, n’en oublie pas néanmoins les bonheurs que ce tour du monde lui a offerts. Amoureux convaincu de la nature et des grands espaces, il garde en mémoire certaines lumières d’exception, la faune du grand sud et des paysages d’autant plus magiques qu’ils sont rares.
Chacun cherche son camp
Les hommes de l’Atlantique Sud, en butte avec une météo particulièrement capricieuse, pourraient quant à eux, céder au découragement. Rencontrer une alternance de petits airs capricieux et de vents soutenus dans le nez peut, à la longue, peser sur les nerfs. Cette remontée est lente, difficile, et les marins ont parfois le sentiment d’une situation complexe qui échappe à leurs outils d’analyse les plus sophistiqués. Jean Le Cam (SynerCiel) doit maintenant gagner dans l’est, à l’arrière d’un front orageux, quand Mike Golding (Gamesa), positionné 400 milles plus à l’est, essaye de traverser la petite dorsale anticyclonique qui se présente devant lui. Derrière eux, c’est la même opposition de style entre Arnaud Boissières (AKENA Vérandas) et Javier Sanso (ACCIONA 100% EcoPowered), soumis tous les deux à l’arbitrage du très neutre, nationalité suisse oblige, Dominique Wavre. Le skipper de Mirabaud hésitait ce matin entre la contrariété de devoir naviguer au près dans des vents de nord soutenus et le plaisir d’être enfin sorti des petits airs.
La joie d’Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) en franchissant la frontière entre Pacifique et Atlantique ou le bonheur tout en retenue de Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) de pouvoir glisser à bonne allure vers des latitudes plus clémentes sont autant de marqueurs : une navigation autour du monde est une alternance savamment dosée de bonheurs et de contrariétés, de plaisirs et de douleurs.
Ils ont dit
François Gabart (MACIF) : « Je n’ai pas eu un pot au noir facile. C’est peut-être pour ça que je suis un peu moins joyeux car ce n’est pas rigolo d’être arrêté comme ça. Je reste concentré mais il faut aussi prendre un peu de recul et je me dis que c’est pas mal d’être là où je suis. Le bonhomme et le bateau sont en pleine forme. J’ai pu profiter des conditions très faibles dans le pot au noir pour faire un check-up complet. Personnellement, malgré les conditions difficiles, je me suis reposé et je suis frais. Désormais c’est la fin de la course, on va chercher l’énergie au plus profond de soi et pour tenir jusqu’à l’arrivée. La course va être difficile jusqu’au bout. Armel (Le Cléac’h) n’est pas très loin et il y a encore beaucoup d’obstacles jusqu’à la ligne d’arrivée. En revanche, on ne reviendra pas sur ce qui s’est déjà passé et je suis très fier de mon parcours. Personne ne pourra me le retirer et je pense que quoiqu’il arrive, ça restera un joli Vendée Globe pour moi. J’espère que ce sera un joli Vendée Globe jusqu’à la fin. »
Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec 3) : « Je suis sorti du pot au noir. Ça a été dur cette nuit et je ne pense pas avoir été le plus favorisé de la bande. Il y avait énormément de pluie, pas de vent, c’était très désagréable. Désormais, ça avance un peu mieux mais l’alizé de nord-est est pour l’instant très défavorable avec un vent de nord. J’espère que ça va revenir calmement dans la bonne direction et que je vais pouvoir filer vers le nord. Je suis fatigué car la nuit a été dure. Tu dois rester dehors à prendre des seaux de flotte sur la figure. Maintenant, il va y avoir un long bord et j’espère que je vais pouvoir me reposer un peu pour être en pleine forme pour la dernière ligne droite. J’ai encore bon espoir et il faut que je sauve cette troisième place absolument. »
Alex Thomson (Hugo Boss) : « Je pense que ça fait quinze fois que je traverse l’équateur donc je ne le célèbre plus. Je ne sais pas comment va être le pot au noir. Quand tu regardes les images satellites, les nuages sont plutôt au nord donc pour moi, c’est plutôt tranquille. François (Gabart) a peut-être eu le passage le plus difficile de tous. Je suis surpris par la résistance des bateaux français. Si on enlève les accidents horribles avec les collisions, les bateaux étaient super bien préparés et c’est un vrai crédit à apporter aux équipes à terre. Si j’avais pour objectif de gagner, je serais vraiment déçu. Mais aujourd’hui, mon but est de terminer troisième et ça serait bien d’arriver sous les 80 jours. »
Classement de 16h
1 François Gabart Macif à 2490.7 nm
2 Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 112.1 nm
3 Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 462.4 nm
4 Alex Thomson Hugo Boss à 672.9 nm
5 Jean Le Cam SynerCiel à 2174.0 nm
6 Mike Golding Gamesa à 2190.2 nm
7 Javier Sanso Acciona à 2337.4 nm
8 Dominique Wavre Mirabaud à 2384.7 nm
9 Arnaud Boissières Akena Verandas à 2490.6 nm
10 Bertrand de Broc Votre Nom autour du Monde à 3517.0 nm
11 Tanguy de Lamotte Initiatives cœur à 3650.2 nm
12 Alessandro Di Benedetto Team Plastique à 4336.4 nm