Une atmosphère frileuse et une ambiance morose d’un ciel sans fard et de nuit sans lune n’entament pas la sérénité des âmes, comme le décrivait joliment Frédéric Le Peutrec lors de la vacation radio du jour : « Il y a de la bonne humeur à bord même si il n’est pas facile de naviguer en ce moment dans le Sud. Il faut savoir patienter, attendre le lendemain en espérant que les jours soient meilleurs : on a encore un peu d’avance sur Orange II et il n’y a pas péril en la demeure… La situation qui est devant se dessine et ne semble pas simple non plus à négocier… Dans la difficulté, il faut garder de l’enthousiasme et ne pas s’enfoncer soi-même ! Nous sommes prêts à saisir l’opportunité qui se présentera à un moment ou à un autre. »
Souffle asthmatique
Car qui aurait pu croire que l’Indien, cet océan de 73 millions de kilomètres carrés qui abrite en ses eaux l’étonnant poisson lune, aurait un « coup de pompe » tel qu’il semble se prélasser? Au point de ralentir Groupama 3 à moins de vingt nœuds et de ramener l’avance acquise sur Orange II à moins de 400 milles ! Poussé par une brise essoufflée, le trimaran géant doit parfois même faire cap à 90° de la route directe pour s’extraire du piège d’évanescence. Ce souffle ressemble à un soupir alors que Franck Cammas et ses neuf équipiers piaffent d’impatience en quête de glissades…
« Nous approchons de l’Australie et il y a un anticyclone sous le continent qui nous oblige à un positionnement assez Sud pour passer en dessous. Depuis plusieurs jours, nous courrons derrière un front qui aurait pu nous permettre de démarrer dans du vent de Nord et de rattraper ainsi le flux anticyclonique. Malheureusement, le front se déplace un peu plus vite que nous. Ce midi, nous sommes dans peu de vent avec une mer formée mais maniable qui permet de glisser tranquillement : le bateau va vite dans ces conditions là, c’est une de ses grandes qualités… Nous venons d’empanner pour tirer vers le Sud-Est. Nous cherchons notre chemin sous un ciel plutôt dégagé, dans une température bien fraîche, avec une eau à 6°C, mais ça ne mouille pas du tout sur le pont ! Une journée sèche sous grand voile haute, gennaker et trinquette…C’est un peu frustrant et nous sommes impatients de retrouver un vent constant : on fait des petits bouts d’accélération et on a du mal à enchaîner. On sent que Groupama 3 en a sous le pied et qu’il a le potentiel pour distancer Orange II sans problème ! » n’hésitait pas à conclure Fred Le Peutrec.
Le cap Leeuwin ne sera donc pas un point de passage très positif pour Groupama 3 qui a sensiblement concédé du terrain par rapport au temps de référence. Mais le trimaran géant est encore susceptible d’améliorer le record établi par Orange II en 2005 sur la traversée de l’océan Indien (cap des Aiguilles – Sud Tasmanie) en moins de 9 jours 11 heures 4 minutes.
Ils ont dit
Frédéric Le Peutrec, deuxième barreur
« Chacun a suffisamment d’expérience sur l’eau pour comprendre ce qui se passe, que les systèmes ne sont pas homogènes. Il n’y a rien à cacher : pour bien barrer, il faut savoir où on va ! (…) Nous arrivons à l’autre bout du globe et nous vivons donc à des rythmes diamétralement opposés à vous. Nous nous sommes mis à l’heure australienne : on se décale de trois heures en trois heures. Le but est de rester en phase avec le temps local, pour prendre son petit déjeuner le matin et pas en pleine nuit… On dort bien en ce moment parce qu’on ne se fait plus trop secouer et le sommeil est meilleur la nuit. On ne dort pas toujours pendant notre quart de veille ce qui nous permet de bricoler, de préparer les repas, de nettoyer les fonds, de faire sécher les vêtements…
Plus le temps passe et plus notre petite communauté s’éloigne du monde terrien… mais grâce aux mails, nous pouvons échanger régulièrement par l’écrit sur un mode littéraire. On prend notre courrier tous les jours ! Il y a parfois une file d’attente devant l’ordinateur… Nous pouvons avoir des nouvelles de tout ce qui se passe à terre et nous discutons pas mal entre nous de tous les sujets, de politique, d’amour, de sport, de la famille… et parfois, il y a de grands moments de silence ! Ce n’est pas un bateau de taiseux… Mais il n’y a pas d’engueulades ! »
Les chiffres du jour 20 :
. Distance parcourue sur l’eau en 24 heures : 562,2 milles
. Distance parcourue depuis le départ : 10 645 milles
. Distance par rapport à l’arrivée : 13 885 milles
. Moyenne du jour 20 : 23,42 noeuds
. Moyenne depuis le départ : 22,18 nœuds
. Avance par rapport à Orange II : 434,2 milles