Il est à peine minuit et du côté de la belle Bretagne, un petit garçon de quatre mois garde ses grands-parents qui refusent de dormir. C’est Max Douguet, un joli bébé qui explose toutes les courbes de croissance et ouvre de grands yeux ahuris quand papy et mamy sortent le champagne du frigidaire. Dans quelques années, on expliquera à Max qu’avec un papa navigateur et une maman navigatrice, avec des grands-parents et arrière grands-parents dans la Royale, ce ne sera pas forcément tous les jours facile. Mais aussi que parfois dans cette drôle de vie on débouche le champagne tard dans la nuit, car la mer et les bateaux se moquent de la bienséance et qu’on est heureux de vivre quand les marins rentrent au port sains et saufs après la tempête.
On expliquera à Max que cette nuit là, on a fêté son Corentin de papa qui a vécu un truc énorme, ce 15 août 2007, là bas à la fin de la terre d’Espagne, pour sa deuxième participation à La Solitaire. Dans la nuit galicienne, Corentin Douguet peut lever les bras au ciel vers la bien nommée Tour d’Hercule qui indique l’abri chéri aux navigateurs égarés dans le mauvais temps. Le refuge des marins depuis deux millénaires accueille cette nuit un grand navigateur. Les traits tirés, les yeux vitreux, ivre de fatigue et de bonheur, Corentin Douguet remporte cette troisième étape de dingues, « où on a eu droit à tout : la pétole, le portant, le près, la tempête… » A La Corogne aussi on sabre le champagne. Corentin Douguet dit : « tous ceux qui ont fait cette étape devraient avoir une bouteille, car celle-là elle était énorme, énorme… des heures et des heures de près dans une mer très grosse, dégueulasse… c’était l’enfer, on se demandait ce qu’on faisait là. Un moment j’avoue que j’ai failli lâcher le morceau, tellement je n’en pouvais plus de planter des pieux dans la baston. Je me suis dit qu’il fallait oublier la performance et naviguer en bon marin, ramener le bateau et le bonhomme, c’est tout. » C’est tout et c’est beau.
« Pas bon pour la santé ! »
On pourrait l’écouter des heures raconter la course, cette option ouest gagnante, les déferlantes effrayantes, le stress de casser quelque chose et le récit de leurs âneries de trompe-la-mort. « On essayait de plaisanter à la VHF, on s’appelait entre concurrents juste pour vérifier que tout allait bien. Avec Gildas Mahé par exemple, on se disait : « bon ça va, t’es pas encore mort ? Non ? Bon ben moi non plus, à tout à l’heure, alors…La mer était tellement dure qu’on a vieilli de 10 ans. C’est pas bon du tout pour la santé ce genre de truc. »
Voilà pour l’ambiance, qui monte encore d’un cran quand arrivent Nicolas Troussel (Financo), 28 minutes et 5 secondes derrière le vainqueur, puis le décidément inévitable Michel Desjoyeaux (Foncia), 48 minutes après Corentin Douguet. Michel Desjoyeaux qui n’a pas raté un seul podium depuis le début de l’épreuve. Troisième à Crosshaven, premier à Brest, troisième à La Corogne… Il prend logiquement la tête du classement général, devant… Corentin Douguet et Nicolas Troussel. Les trois vainqueurs de cette étape dantesque entre Brest et La Corogne sont aussi les trois nouveaux leaders au général et fatalement tout trois prétendants à la victoire finale. Les écarts entre eux sont faibles. Desjoyeaux a désormais 8 minutes et 13 secondes d’avance sur Douguet au classement général provisoire avant jury et 17 minutes et 26 secondes sur Troussel. Tout va se jouer donc sur la quatrième et dernière manche entre La Corogne et Les Sables d’Olonne. Mais n’anticipons pas. Pour l’heure, il s’agit de fêter les vainqueurs et d’accueillir aussi comme des vainqueurs ceux qui ont eu moins de réussite, qui n’ont pas voulu ou pas pu aller chercher le vent dans l’ouest comme Corentin Douguet et ses deux dauphins premier choix. Mais auront bouclé eux aussi cette étape hallucinante. Les arrivées vont se succéder toute la nuit et les écarts sont déjà importants. A l’heure où nous bouclons ces lignes par exemple, l’ancien leader du général Fred Duthil (Distinxion) vient d’arriver. A une très jolie 7e place, mais déjà à 1h52 minutes de Corentin Douguet. Mais ce n’est pas franchement le moment de causer chiffres. D’ailleurs dans son berceau, Max s’est endormi sans même demander une calculette.
Corentin Douguet, superbe vainqueur à La Corogne
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