Conditions difficiles pour Groupama 3 dans l’Indien

Groupama 3 - Franck Cammas
DR

Paradoxe de la navigation à voile : alors que Groupama 3 aligne une belle journée de près de 620 milles à 26 nœuds de moyenne, le trimaran géant continue à perdre de son avance sur le temps de référence de Orange II ! Et l’hémorragie est sévère : la moitié des 600 milles accumulés il y a deux jours, a fondu pour n’être plus que de 290 milles en ce jeudi après-midi…
Le « coup de mou » d’hier encaissé par l’équipage qui anticipait déjà cette « saignée », est toutefois passé et Franck Cammas, lors de la visioconférence de ce jeudi, apparaissait plus serein en expliquant que la « cicatrice » allait se refermer d’ici une demie journée…« Il ne fait pas très beau et le vent et la mer sont très instables. Il y a sept mètres de creux, mais les vagues sont courtes et c’est difficile de savoir comment toiler le bateau car la brise change très vite, passant de 20 à 28 nœuds : il faut que nous limitions les chocs au maximum ! Ainsi le bateau va parfois très vite au dessus de trente nœuds et s’arrête brutalement : ce n’est pas évident à gérer… Nous avons encore douze heures difficiles, ensuite la houle va s’allonger puis diminuer. Nous sommes en train de faire cap à l’Est et le plus gros de la mer devrait passer devant nous. Vendredi, ça ira mieux ! »

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Une foule de houles…

Au cours des tours du monde à la voile, en course ou en record, en solitaire ou en équipage, en monocoque ou en multicoque, la manière de naviguer a profondément changé. D’abord parce que les bateaux vont plus vite, ensuite parce que les marins sont plus expérimentés, enfin parce que les prévisions météorologiques sont nettement plus fiables et sur de plus longues périodes… Gérard Petipas, navigateur d’Eric Tabarly, le rappelait lors de la vacation radio : « un compas, un couteau et un baromètre, voilà ce que nous avions pour prédire le temps… ». Même son de cloche de la part d’Eric Loizeau, skipper de Gauloises II lors du tour du monde en équipage 1977-78, qui disposait seulement de cartes isobariques réceptionnées par fax… Les temps ont changé avec des fichiers numériques d’aujourd’hui qui permettent, non seulement de prévoir la force et la direction du vent sur les cinq voir sept jours à venir, mais aussi l’état de la mer.

"ça ira mieux demain"

« Les multicoques freinent en premier lieu à cause de la mer : on est facilement à trente nœuds mais dès qu’il y a des vagues, il faut réduire la toile pour limiter la vitesse et en conséquence, cela nous fait plus de vent apparent. C’est ce vent qui est dangereux quand il varie rapidement, générant des chocs dans la mer qui font passer le bateau de 25 à 15 nœuds en quelques secondes… D’autant plus sur un trimaran, car avec ses trois coques, il y a toujours une vague qui tape très fort le flotteur au vent ! Et les vibrations se répercutent dans toute la plateforme. Les coups sont assez impressionnants… » précisait le skipper de Groupama 3.
Or, quand après un front générant de la brise forte de nord-ouest, succède un coup de vent d’Ouest puis une tempête de Sud, ces trois trains de vagues forment un chaos pyramidal extrêmement violent et surtout très imprévisible.
Cette « foule de houles » qui se mélange, compose une disharmonie ondulatoire redoutable pour les structures des multicoques, sans même parler des marins qui baignent dans les embruns, se fracassent sur les cloisons à l’intérieur et vibrent des tympans aux chevilles !
Rien de pire qu’un trimaran assaisonné à la sauce shaker… Heureusement, les multicoques ont la capacité d’accélérer pour se dégager du plus gros de la mer afin de retrouver des conditions de navigation plus performantes… Mais pour Franck Cammas et ses neuf équipiers, il faudra patienter jusqu’à l’ouverture du week-end !

Ils ont dit :

Sylvain Mondon, de Météo France, routeur :
« L’équipage de Groupama 3 va avoir 24 heures difficiles en raison de l’état de la mer, comme à la mi-journée, avec des creux qui varient entre cinq et sept mètres et des vents de travers. La mer est croisée et pénible ce qui impose de ralentir le rythme. L’objectif du week-end est d’attraper une dépression qui va se former dans le Nord des Kerguelen, pour naviguer avec des vents un peu plus favorables qui permettront de faire route vers le sud-est. La mer va s’arrondir et autorisera des vitesses plus élevées… Il sera difficile de se glisser dans le Sud de cette perturbation naissante compte tenu des vitesses de ces prochaines heures, mais le trimaran va ensuite pouvoir naviguer derrière elle avec des vents de nord-ouest qui permettront de contourner l’anticyclone stationnaire au Sud de l’Australie. Le problème pour Groupama 3, par rapport aux autres tentatives sur le Trophée Jules Verne, c’est qu’il va avoir à parcourir plus de chemin. Il va ainsi faire les trois quarts de la route dans l’Océan Indien sur le 40°, donc il va perdre au moins 700 milles par rapport à une route sur le 45° Sud… Arriver à maintenir un écart positif par rapport à Orange II sera très difficile sur cette partie du parcours ! Nous ne sommes pas dans une configuration météorologique inhabituelle puisqu’elle se reproduit une ou deux fois par quinzaine. Mais la perturbation qui passe actuellement dans le Sud de Groupama 3 est particulièrement puissante ! Ce qui est paradoxal en ce moment, c’est que le trimaran va se faire pousser par un anticyclone alors que normalement, c’est une dépression… »

Franck Cammas « Nous avons bien poussé le bateau dans l’Atlantique : il va bien et nous le découvrons maintenant dans le Sud même si pour l’instant, nous sommes obligés de lever le pied. En fait, notre plus grosse crainte, c’est l’état de la mer plus que la force du vent. Nous regardons autant les cartes de vague que les fichiers de brise pour définir notre trajectoire. Cette dépression avec sa forte houle de Sud était inévitable et il faudra pouvoir éviter autant que possible les zones de grosses vagues, de mers croisées comme en ce moment(…) "On arrive encore à mener le bateau de manière performante même si on lève le pied depuis hier soir à cause de l’état de la mer. Je suis très fier de mon équipage."

Frédéric Le Peutrec « Il y a un contraste étonnant en ce moment : nous voyons de gros albatros… et des poissons volants ! C’est incroyable… L’eau est encore très chaude. Dans la mer formée, c’est sublime de voir ces oiseaux du Sud profiter des courants ascendants et s’ils le veulent, ils vont bien plus vite que nous, sans aucun effort, en planant avec aisance, avec un petit regard en coin… »

(source Groupama Team)