Au revoir Jean-Pierre

Portrait Jean-Pierre Pacquier
DR

On l’appelait « Pacman », un surnom qui à la réflexion ne convenait pas du tout à cet homme distingué, élégant, plein d’humour, à l’allure très « British » en somme. Tellement d’ailleurs que son visage aux yeux vifs et à la moustache vaillante fut chaussé d’un chapeau melon et son buste habillé d’un gilet tricolore par nos confrères de l’Equipe magazine, pour illustrer la couverture d’un hebdomadaire largement consacré au match France-Angleterre. C’était dans les années 80 ! Jean-Pierre alors connu et reconnu sur la place de Paris pour ses talents créatifs occupait de hautes responsabilités dans un grand groupe de presse. L’homme de toute évidence était doué et possédait un art consommé de la direction artistique. Il aurait pu s’installer confortablement et durablement dans un établissement de grand renom, mais l’ami Jean-Pierre céda volontiers aux fruits de sa passion : la course à la voile. C’est ainsi qu’il atterrit un jour à la rédaction de Course Au Large à l’initiative de Pascal Faure, à l’époque vice-président de l’UNCL dont le magazine était l’émanation. L’homme grand par la taille et l’humour… pas seulement britannique, avait une méthode de travail bien à lui. Il arrivait généralement au bureau dans le courant de l’après-midi et sortait son cutter – de ce temps-là l’ordinateur ne mettait pas en page – peu avant l’heure de dîner. C’est la nuit venue que le sémillant quinqua, enfin débarrassé de ses obligations téléphoniques, se mettait effectivement à la tâche. Avec ses longs doigts fins, ce fumeur invétéré modelait l’ouvrage tel un orfèvre dont la matière se composait de textes et d’images. A l’aube, son entourage, les yeux éteints et le visage glauque, voyait disparaître le pimpant D.A. vers d’autres… éditeurs sans doute. Jean-Pierre dormait très peu mais ça ne se voyait pas. Il n’a pas vécu assez longtemps mais il a vécu deux fois. C’est qu’il ne savait pas trop refuser surtout quand il s’agissait de bateau. Et quand on s’étonnait ouvertement de ses horaires de travail… Il ne comprenait pas, ou s’en moquait. Il y avait un journal à faire, il le faisait. Disons que souvent le bouclage commençait dès la première heure. Mais jamais oh grand jamais, il ne manifesta la moindre impatience, même quand le retard ou l’urgence n’étaient pas de son fait. Sortir de ses gonds eut été une attitude tout à fait contraire à ses principes, voire une vraie faute de mauvais goût. C’est ainsi que plusieurs années durant vécut Course Au Large réalisé par un rédacteur en chef souvent en mer et un D.A., aussi metteur en page, à l’agenda très chargé. Jean-Pierre cultivait un type de maquette chic et sobre conforme à ses goûts esthétiques et sa vision de la voile. Plus tard, il acquit un joli quillard aux allures rétro dénommé « Belle Amie » avec lequel il tira des bords – pas assez à son goût – dans les méandres de la Rance. Son talent lui valut de créer des logos, des chartes graphiques pour des entreprises, etc… A la fin des années 80, il fut de l’équipe qui lança le magazine Régates Internationales. Lequel occupa une bonne partie de son temps jusqu’en 1993. Puis il se rapprocha de sa terre natale en Ille et Vilaine avec la fondation d’une société de communication dont il assurait la direction du département édition… tout en assurant la direction artistique du magazine Notre Temps, et oeuvrait probablement à d’autres travaux simultanément. Comment expliquer cette boulimie du boulot sinon en considérant que l’édition nautique était sa façon à lui de s’évader à la voile et que le reste était simplement nécessaire. Jean-Pierre avait toujours le mot pour rire, mais ne partageait pas ses intimités.
Dès 96, il conçut le magnifique logo de The Race pour Bruno Peyron et édita, avec François Seguin, le magazine éponyme… de toute beauté. Au moment de réaliser le Guide IRC que nombre d’entre vous connaissent bien, nous avons fait appel à ses services, évidemment. Afin de sécuriser sa présence, nous le convions à la maison une semaine durant. Au fil de ces dernières années, la maladie rongeait notre ami, nous le voyions bien, mais jamais il n’en parlait avant qu’on le questionne sur son état de santé. Il avait ce type de mal dont on dit que certains réchappent à force de volonté. Jean-Pierre s’est battu longtemps, mais le cœur flanchait lui aussi à cause de cette foutue tabagie, on ne sait… La dernière fois que je l’ai vu, juste avant le départ du dernier Vendée Globe, il était fatigué, terriblement amaigri. Il arrivait encore à plaisanter, à tirer sur sa cigarette le bougre, mais il avait du mal à jongler avec son ordinateur. Quand je pense qu’il s’était juré de ne jamais toucher à cet instrument-là et qu’il en était devenu un virtuose à 60 ans révolus ! J’étais certain de ne plus le revoir. Il a survécu à l’année 2005 et aussi à l’année 2006… jusqu’à samedi dernier. L’un de ses proches amis nous a dit qu’il n’avait plus la force de combattre, que c’était la nuit de trop, que les ténèbres auraient raison de celui qui a vécu deux fois. Un gentleman s’en est allé. Laisse-nous te pleurer Jean-Pierre, même si la mort est une délivrance pour ceux comme toi qui ont trop souffert.

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Patrice et Mimi Carpentier