Dernières heures de combat sur La Solitaire

chabagny solitaire 2008
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Ventée, sportive, musclée, engagée… cette dernière étape de La Solitaire a déjà eu raison de huit concurrents, qui ont abandonné pour raisons diverses (matériel, physique…). Depuis ce matin, tous ceux-là sont à bon port dans le très bel abri de l’Aber Wrac’h. Au large en revanche, la bataille fait rage, à une trentaine de milles de la bouée Brittany Buoy. La « guerre » est un peu moins dure qu’hier pour les 38 solitaires encore dans le match. « Le vent a molli à 15/18 nœuds d’ouest et la mer est un peu plus longue, moins déferlante moins creuse », témoigne en mer le directeur de course Jacques Caraës. Rincés, trempés, fourbus, ils ne vont pas s’en plaindre, tant les dernières 24 heures ont été éprouvantes. Rivés à la barre, guettant l’accélération, ils sont à l’attaque en suivant les grains et oscillations du vent, tentant d’enchaîner les meilleurs bords pour aller chercher la bouée au vent de ce parcours banane géant, au large de la Bretagne. Cette fameuse Brittany Buoy qui sera virée en soirée par les leaders, peut-être aux alentours de 21h.

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Les leaders ? Ceux qui ont pris la route du sud dès la pointe du Cotentin et le long des cailloux de Bretagne nord se frottent les mains. Pour l’instant en tout cas, leur trajectoire à l’intérieur des Sept-îles ou encore dans le sud de la route médiane leur a permis de prendre un léger avantage. Gildas Morvan, Erwan Tabarly et Frédéric Duthil sont de ceux-là. Respectivement 2e, 3e et 4e du classement général, les skippers de Cercle Vert, Athema et Distinxion Automobile sont dans ce groupe de tête où on ne compte pas un seul mais neuf leaders : ils tiennent tous en un petit mille ! Aux côtés de ces trois-là, tour à tour devant ou derrière pour quelques longueurs, on trouve Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs), Eric Drouglazet (Luisina), Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier), Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles), Nicolas Lunven (Foncia) et Armel Tripon (Gedimat). Inutile de se fier davantage aux pointages : parmi ces neuf-là, on joue aux chaises musicales à chaque pointage pointages au gré des virements de bord. De 1er à 9e, la place de meneur ne tient qu’à un fil. Beaucoup sont au contact, se virent dessus à vue… La guerre contre les éléments a laissé place à la bataille tactique : une jolie compétition de tricot pour progresser contre le vent qui défend l’accès à Brittany Buoy.

Egalité chez les bizuths !

Le leader du général Nicolas Troussel (Financo) n’est pas dans ce match. Sa route nord l’a isolé et il cravache pour revenir, au moment où la flotte commence à faire l’entonnoir. Son matelas de six heures d’avance reste confortable, d’autant qu’il a déjà réduit de moitié son déficit de 20 milles enregistré hier. Reste à savoir s’il aura réellement du retard à la bouée et si oui combien, sachant qu’une fois celle-ci virée, les premiers vont accélérer au portant pendant que les copains de derrière continueront à tirer des bords deux fois moins vite.

Du 2e au 18e du général… et jusqu’au 38e d’ailleurs, tout comme du 1er au 9e de l’étape et même jusqu’au 14e (Jeanne Grégoire, à 3,7 milles) voire davantage, la lutte est intense, tendue, à tous les étages et à toutes les latitudes. Mention spéciale aux bizuths François Gabart (Espoir Région Bretagne) et Adrien Hardy (Agir Recouvrement). Grosso modo, ces deux débutants-là sont à égalité, à 130 milles de l’arrivée ! On pourrait multiplier les exemples, comparer avantages et inconvénients des latitudes, sachant que le latéral est énorme entre le bateau le plus au sud et le plus au nord : 75 milles à 30 milles de la marque au vent. En langage terrien : près de 140 kilomètres du nord au sud pour aller chercher le même point, 55 kilomètres devant l’étrave… Avantage sud pour l’instant, mais sait-on jamais ? Côté météo, le vent restera ouest toute cette soirée avant une bascule sud-ouest cette nuit, annonciatrice de l’arrivée d’une nouvelle dépression bien creuse, pouvant de nouveau générer des vents allant jusqu’à 40 noeuds. Mais au moment de ce nouveau coup de vent, explique Richard Silvani, de Météo France « la flotte devrait être en totalité sur le chemin retour, donc au portant avec des vitesses de rapprochement beaucoup plus élevées. » Et pourquoi pas être à l’abri avant ce nouveau coup de chien, prévu pour mardi matin. Pour l’instant, les premiers sont attendus à l’Aber Wrac’h dans la nuit de lundi à mardi, au terme de ces heures de vérité. Quand il faudra déclencher chronomètres et calculettes avant de féliciter les vainqueurs et réconforter les vaincus.

BM

Ils ont dit :

Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) : « ça castagne tactiquement »
« Il a fallu s’accrocher sévère moralement. Je suis en train de manger mon premier repas chaud depuis la première nuit. Les conditions étaient sportives : 30 nœuds de vent avec une houle croisée pas agréable, de quoi remuer les estomacs. Intellectuellement aussi c’est sport. Il y a des bascules de vent et il faut en tirer parti. Hier, j’ai un peu fait le dos rond. J’ai essayé d’aller vite. J’ai réussi à rester accroché à Fred (Duthil) qui était rapide. Cette nuit, quand le vent a basculé, j’ai pu aller dormir un peu. Parce que hier, toute la journée à la barre, ça a été assez rude. Depuis le premier jour quand le vent est rentré, j’ai enfilé ma combi sèche, par-dessus, j’ai mis mon gilet, accroché le harnais et c’était parti pour la castagne. Ca a castagné sévère. Et maintenant, ça castagne tactiquement. C’est étonnant, après 200 milles de près, de se retrouver tous aussi groupés à l’approche du but. C’est le côté sympa du jeu. Il y a du monde dans le bourg, t’observes les autres, tu essaies d’aller chercher les nuages, ça aide à tenir. On a hâte de remettre le bateau debout, à l’intérieur, c’est une peu le vrac. On a hâte de sécher, d’envoyer le beau spi blanc pour aller à l’Aber Wrac’h.

Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) : « après la bouée, ce sera la délivrance »
« Il y a encore 50 milles d’ici la bouée Brittany. Là, on est un groupe de bateaux à se bagarrer en fonction des oscillations du vent, un coup à gauche, un coup à droite. Il y a 5 minutes, un grain est passé, on a eu une grosse bascule d’un côté. Le vent a molli, on a fait des changements de voile, bref, il y a pas mal de boulot. Il valait mieux enquiller les heures de sommeil cette nuit. C’est vrai qu’il y a un peu de fatigue à la fin de ce long bord de près de 300 milles. Mais c’est la dernière étape, faut s’arracher jusqu’au bout. J’essaie de naviguer du mieux possible, je ne sais pas trop comment ça va se passer avec ceux qui sont partis à droite. Après la bouée, ce sera la délivrance. Mais ça risque d’être le petit train et ce sera plus difficile de gagner des places »

Armel Tripon (Gedimat) : « c’est vraiment une belle étape »
« Je suis super content, j’ai fait une belle première nuit. Je n’ai pas trop perdu de plumes dans la baston, je suis avec mes camarades aux avant-postes, donc tout va bien. Ce n’était pas vraiment une tempête, c’est resté maniable. J’avais un ris dans la grand-voile, solent devant, le bateau était bien préparé. J’étais à la barre au début quand la mer était hachée, ensuite, je me suis reposé à l’intérieur. Il y a pas mal de manœuvres, on tire des bords, il faut jouer avec les risées et les nuages. Il y a vraiment du jeu jusqu’à la bouée. Je suis à fond, un peu crevé quand même, il va falloir trouver des phases de repos pour rester lucide. Car c’est loin d’être fini, il y a un grand bord de spi, l’atterrissage dans les cailloux et les courants et ça va batailler ferme jusqu’au bout, c’est vraiment une belle étape. »

Nicolas Lunven (Foncia) : « ça tire sur les organismes »
« On a l’impression d’être encore très loin de la bouée avec ce vent pile dans la figure, les grains qui passent : ça rend notre progression lente et laborieuse. Je crois que Jacques (Caraës) nous a fait faire un détour dans le parcours… parce que hier, on est passé pas loin de l’Aber Wrac’h ! Une fois à Brittany, on envoie le spi et surtout, on enlèvera le ciré qu’on n’a pas quitté depuis le départ, on pourra enfin se faire un petit plat chaud. Cette étape commence un peu à tirer sur l’organisme. Juste à mon vent, à 300 mètres, j’ai Koné Ascenseurs, Suzuki Automobiles, le Comptoir Immobilier. C’est intéressant, ça demande de la concentration mais c’est dur car on commence à être fatigué ».

Frédéric Duthil (Distinxion Automobile) : « on est quand même un peu mort »
« Lors du passage du front à Ouessant la nuit dernière, il y avait de la mer mais ça allait, c’était assez régulier, ça glissait bien, ce n’était pas si exceptionnel que ça. Cela dit, on est quand même un peu mort. Il y a des bascules à exploiter donc, il y a pas mal de virements de bords à faire. Il reste encore 45 milles pour aller à la bouée et on ne va peut-être pas non plus virer tous les 300 mètres ! Cette nuit, j’ai bien dormi quand ça a molli. Donc, aujourd’hui, j’ai la pêche. »

Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier) : « mouillé jusqu’aux os »
« Ca va, j’ai pas mal dormi dans la brise car le pilote barrait aussi bien que moi; j’en ai profité pour « faire bannette » après avoir franchi le rail d’Ouessant. Avec du matos bien préparé, ça passait, ce n’était pas violent, avec une bonne mer un peu saute mouton. Le seul truc, c’est qu’on est mouillé jusqu’aux os. Avec ce bon paquet de bateaux devant et les oscillations de vent, il y a du jeu. Cela promet une belle bataille pour la suite. J’attends avec impatience de choquer les écoutes et de mettre le grand spi. Le vent est prévu mollissant après la bouée Brittany, on n’aura peut-être pas beaucoup d’air au portant. »