A partir de quel moment avez-vous pensé à la victoire ?
" En fait, j’ai commencé à comprendre que j’étais peut-être en train de faire un truc au pointage de 17 heures, hier. Jusque-là et depuis plus de 30 heures, je pensais juste à naviguer en bon marin, à nous ramener entier, moi et le bateau. Et quand j’ai entendu que j’étais 33e, j’en ai déduit qu’ils avaient tous, ou presque, déjà viré, j’étais tout seul bâbord. J’ai continué à l’ouest et j’ai viré où j’avais prévu de le faire. On savait qu’une des clefs de cette étape résidait dans le fait de trouver le bon timing lors de la bascule au nord ouest, manifestement, je l’ai trouvé. Deux heures plus tard, j’étais 18e et ensuite, je savais que j’allais continuer de passer des bateaux, mon angle étant meilleur. Quand j’ai entendu que j’étais en deuxième position et que c’était "Bostik" le premier, vu qu’il était à l’est, je me suis autorisé à croire que c’était bon. J’ai mal partout, comme tout le monde, un peu moins sûrement, parce que je l’ai claquée et bien claquée. Elle est vraiment belle celle-là ! "
Et pour cause, vous êtes en effet tous unanimes, cette étape a été un enfer…
" Il y avait une mer dégueulasse et on s’est vraiment fait mal. J’ai eu un moment d’hésitation parce que c’était terriblement dur. Ce n’était pas tant le vent, il y avait 45 nœuds, mais c’était la mer qui était super violente et croisée. Je me suis servi de la longe de harnais pour faire une ceinture et ne pas me faire éjecter du poste de barre. Avec la fatigue, on s’endort un peu et si une vague arrive, on peut se faire éjecter à travers le cockpit et se retrouver avec un chandelier en travers de la bouche… Il y a un moment où je me suis dit : faut juste naviguer en bon marin et ne pas se prendre la tête avec la performance pure, parce qu’en ce qui me concernait, ce n’était plus possible. Ce n’est pas raisonnable de nous envoyer là-dedans. Ce sont des petits bateaux quand même, la régate c’est un jeu, du sport, pas l’enfer. Un moment, j’ai vu que j’étais pile poil entre la maison et La Corogne. J’ai failli rentrer, au portant peinard. Et puis, j’ai regardé la photo de mon fils, j’ai pensé à Marine, ma femme, qui m’attendait à La Corogne et je me suis dit que ce serait ballot de rentrer en Bretagne, alors qu’elle était en Espagne. Alors, j’ai remis du charbon… "
Alors qu’il ne reste plus une étape, vous occupez désormais la 2e place au classement général à 8 minutes et 13 secondes de retard sur Michel Desjoyeaux. Vous pensez à la victoire ?
" Il est immense ce Michel Desjoyeaux, il est bon partout, dans tous les compartiments du jeu. C’est la première fois que je navigue contre lui et je suis impressionné par le niveau du bonhomme. Du coup, je me sens mieux derrière que devant lui parce qu’il est venu pour gagner la course, moi je voulais faire un podium sur une étape. J’ai atteint mon objectif, aujourd’hui, j’ai tout à gagner et lui, tout à perdre ".
Propos recueillis par
Perrine Vangilve