Une étape indécise autant que spectaculaire

Jean-Pierre Nicol
DR

Le portant, c’est important. On néglige trop souvent ce qui peut se passer au vent arrière. Trop habitués à un jeu collé serré – surtout en monotypie – dont l’idée reçue veut qu’il génère pas ou peu d’écarts, qu’il suffit d’être rapide sous spi pour s’en sortir. Pan sur le bec, on a eu droit à de jolies surprises tôt ce matin avec le passage à la bouée BXA dans l’estuaire de la Gironde. C’est ainsi que le bizuth Jean-Pierre Nicol (Gavottes) au terme d’une belle sinusoïdale à l’est et à l’ouest de la route, passait en premier la marque par le travers du phare de Cordouan, à 6h42, avant de mettre le cap sur La Corogne. Robert Nagy (Théolia) et Christian Bos (Belle-île en mer) viraient respectivement en 2e et 3e position cette même bouée, suivis de près par les leaders d’hier, à savoir Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier), Thierry Chabagny (Brossard), Vincent Biarnes (Côtes d’Armor), Michel Desjoyeaux (Foncia), Corentin Douguet (E.Leclerc/Bouygues Telecom) et Gildas Morvan (Cercle Vert), ce dernier étant précédé du vainqueur 2006, un Nicolas Troussel (Financo) fort bien revenu dans le match. Il y avait alors déjà des écarts substantiels, sans être rédhibitoires. Ainsi le leader au général Fred Duthil (Distinxion) rendait 40 minutes au leader et Nicolas Bérenger (Koné Ascenseurs) 3e au général, un peu plus de trois quarts d’heure. Ce soir, les deux hommes sont respectivement 10e à 10 milles (Duthil) et 16e à 12 milles (Bérenger). Voilà qui, pour l’instant, fait les affaires de Desjoyeaux, Mahé et Chabagny au général… mais la course est loin, très loin d’être terminée.

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Vainqueur du Tour de France à la voile 2006 et Champion de France de Match Racing 2007, le bizuth Jean-Pierre Nicol ne pouvait alors que se réjouir de sa trajectoire un peu plus à l’est que celle du groupe Desjoyeaux, lors de la descente vers BXA. « Après deux premières étapes catastrophiques, passer la marque en tête m’a fait du bien», confiait-il à la vacation radio. Hélas pour lui, à 10h le golfe de Gascogne se transformait en lac totalement déventé. Bien difficile de trouver le moindre souffle pour faire avancer la machine sur cette mer d’huile. « On est collé dans la pétole et Christian Bos s’est un peu barré devant», racontait alors Jean-Pierre Nicol. Confirmation au pointage de 16h : en effet, le skipper de Belle-Ile-en-mer (qui n’a pas répondu à la vacation radio) était en tête à 294 milles de la Corogne et affichait 5,3 milles d’avance sur Robert Nagy (Théolia), fort bien inspiré également dans la descente sous spi vers la Gironde et lui aussi à l’affût de la moindre risée salvatrice. Celle qui permet de progresser tant bien que mal tout mettant un terme, même momentané, à l’entêtant claquement des voiles faseyantes.

«Prêts à faire le gros dos »

Ne pas s’y méprendre toutefois. Si le changement de rythme est manifeste, deux choses sont importantes à retenir : primo, la pétole ne devrait pas durer. Ensuite les gros bras d’hier et ceux du classement général sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Gildas Mahé (Le Comptoir Immobilier) est le mieux loti d’entre eux : troisième à 6 milles de Christian Bos. Mais Michel Desjoyeaux, Gildas Morvan, Thierry Chabagny, Nicolas Troussel, Vincent Biarnes et Corentin Douguet vont aussi se battre pour la gagne sur les 300 milles qui restent encore à parcourir d’ici l’arrivée à La Corogne. Si les écarts sont maintenant pertinents – plus de 15 milles de retard à partir du 20e – le groupe de poursuivants mené par Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole, 9e à 10 milles) peut très bien s’en sortir lui aussi. Côté météo, cette pétole est une classique entre deux systèmes. «Et le vent va revenir doucement par l’ouest cet après-midi », explique Richard Silvani de Meteo France. «Il va s’orienter sud-ouest et forcir dans la nuit pour monter jusqu’à 15 nœuds demain mardi, au matin. Ensuite on passera au vent vraiment fort avec 30 à 35 nœuds et des rafales à 40, une mer inconfortable. Ce sera pour mardi soir et la nuit de mardi à mercredi ». L’absence de vent du moment n’est donc qu’un leurre passager. Les skippers de cette 38e Solitaire Afflelou Le Figaro le savent. Si bien qu’ils sont nombreux cet après-midi à expliquer s’être déjà préparés à affronter « la baston », ce fameux coup de chien qui succèdera au calme du jour, trop plat pour être honnête. Tous racontent qu’ils ont passé les bosses de ris (boutes qui servent à réduire la toile dans le vent fort, ndr) et rangé les bateaux. Qu’ils sont « prêts à faire le gros dos », comme dit un Eric Drouglazet (Luisina, 17e à 12 milles) qu’on sait dur au mal et qu’on imagine bien avec un sourire carnassier de corsaire malicieux quand il déclare à la vacation du jour : « j’attends le gros temps avec impatience. » Ce n’est pas forcément le cas de tout le monde. Mais n’anticipons pas. Avant ce passage nocturne dans le coup de tabac, il y a encore une nuit et une journée de régate à gérer. Et depuis le départ de Caen, on a confirmation que vingt-quatre petites heures peuvent contenir un respectable quota de péripéties et retournements de situations en tout genre lorsqu’on parle de course au large, a fortiori en solitaire et à armes égales. Les neuf premiers bateaux tiennent en moins de dix milles nautiques. Cela peut paraître beaucoup. C’est relativement peu en vérité lorsqu’on sait que la bouée au vent s’appelle La Corogne. Et que celle-ci est encore 300 milles devant l’étrave de l’étonnant Christian Bos.

Les échos du large

Jean-Pierre Nicol (Gavottes): « En ce moment, on est scotché. On sait que le vent doit rentrer mais on ne sait pas si ce sera de droite ou de gauche. Devant, j’ai Christian Bos qui s’est fait un peu la malle. Pour l’instant, on ne peut pas aller se reposer, il faut être à l’affût de la moindre risée. Pour l’instant, j’ai choisi de rester sur la route. »

Thierry Chabagny (Brossard) : « On essaye de sortir de cette zone de molle. On commence à toucher un peu de vent maintenant, c’est agréable d’entendre le bateau faire un peu de bruit dans la mer. La stratégie, pour l’instant, c’est d’avancer et de se positionner vers la dépression qui va nous arriver bientôt, dans la nuit et demain surtout. On va faire un peu de nord-ouest et avancer. Je n’ai pas beaucoup dormi depuis la première nuit. Cette nuit, après la bataille d’empannage, puis le passage de BXA, le vent était ingérable, on se prenait les voiles dans la figure, impossible de dormir. »

Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : « Je viens d’ouvrir un oeuf dur qui a un peu trop cuit, il ne sent pas très bon et il n’est pas très beau à voir… pour te dire, ma course ressemble un peu à ça pour l’instant. J’ai l’impression que sur ce Figaro, je n’arriverai pas à faire les choses à l’endroit. Pour ce qui est de mon option quand le vent va rentrer, moi, j’irais plutôt à la côte, pour ne pas avoir de mer, ça peut permettre d’avancer plus vite… ça va être fort mais ce sera pas la grosse tempête. Le seul truc qui m’inquiète : si ça passe au nord-ouest et que je suis à la côte, je vais manger énorme. »

Christopher Pratt (Espoir Crédit Agricole) : « Je n’ai pas eu mon ticket de passage au raz de Sein. J’ai eu droit à un petit mouillage forain… puis une belle descente à la BXA et maintenant les voiles qui claquent. J’aurais pu être encore mieux car j’étais avec Christian Bos jusqu’à la fin de la nuit. Mais bon, il reste 300 milles de près dans la baston donc rien n’ est fait. J’ai un peu d’appréhension d’autant que je n’ai pas beaucoup dormi…Là, il n’y a pas de vent donc on est obligé d’être sur le pont pour grappiller le moindre mètre. J’ai bien en tête tout ce que j’ai à faire pour attaquer le coup de vent. Les bosses de ris sont passées, il va y avoir des changements de voiles, il n’y a plus qu’à sortir les cirés. Je suis avec Fred Duthil et Corentin Douguet. J’aperçois la tête de flotte qui semble s’échapper un peu. »

Gildas Morvan (Cercle Vert): « Depuis 2 heures, c’est le lac. Il y a des petites risées qui arrivent, faut essayer de les attraper pour repartir avec. Tout ce qu’on peut grignoter dans l’ouest, ce sera bien pour partir en premier. Je suis avec Financo, Brossard et Foncia…on se tire la bourre. On essaie d’avancer plus ou moins sur la route.»

Eric Nigon (AXA Atout Cœur pour Aides) : « Je regarde partout pour voir s’il y a une petite risée qui vient, mais il n’y a pas grand chose. J’ai tiré un bord à terre qui était assez intéressant. Pour l’instant, c’est une très belle ballade, il manque juste un peu de vent. On aura du gros temps donc j’ai privilégié d’aller chercher une mer plus plate plus près des côtes espagnoles. Tout va bien, j’ai passé la première nuit à me reposer un maximum.»

Marc Emig (A.ST Groupe) : « J’ai été mauvais toute la nuit donc forcément, je le paye. Il y a eu la surprise de ceux qui étaient à terre. Bref, faut repartir à zéro. Ce matin, j’ai pu dormir un poil avant cette grosse molle. Vu ce qui nous tombe sur la tête en ce moment, la stratégie sera surtout de démarrer de là où on est. Car le vent va arriver par devant, donc, évidemment, faut être devant. La suite ne va pas être toute simple. Il y a un passage de front avec 35 à 40 nœuds et il y aura sûrement une bascule à l’ouest à aller chercher. »

Robert Nagy (Théolia) : « Je suis passé 2e à la BXA. Hier à la même heure, lorsque je vous parlais, je vous disais que j’étais sur la droite du plan d’eau pour être du bon côté de la bascule, pas autant que Jean Pierre (Nicol) qui était très loin à droite. Mais ça a bien marché. Jusque il y a une minute, je me demandais si je n’allais pas sortir le mouillage… mais j’y ai échappé. Dans pas longtemps, ça va être gros carton. J’ai eu la super bonne idée de dormir 1 h 15 après BXA : c’était certainement la meilleure idée de la journée »

Pointage à 19h : 1. C. Bos (Belle Ile en Mer) à 280.7 milles de l’arrivée; 2. J.P. Nicol (Gavottes) à 7.8 milles du leader; 3. G. Mahé (Le Comptoir Immobilier) à 8.1 m; 4. M. Desjoyeaux (Foncia) à 8.3 m; 5. G. Morvan (Cercle Vert) à 9.6 m; 6. V. Biarnes (Côtes d’Armor) à 9.8 m; 7. N. Troussel (Financo) à 9.9 m; 8. C. Pratt (Espoir Crédit Agricole) à 11 m; 9. C. Douguet (E. Leclerc / Bouygues Telecom) à 11.5 m; 10. F. Duthil (Distinxion) à 11.5 m; 11. G. Véniard (Scutum) à 14.6 m; 12. P. D’Ali (Kappa) 14.7 m; 13. E. Drouglazet (Luisina) 15.3 m; 14. R. Treussart (Groupe Céléos) à 15.3 m; 15. N. Lunven (Bostik) à 15.4 m; 16. N. Berenger (Koné Ascenseurs) à 15.7 m; 17. F. Le Gal (Lenze) à 15.8 m; 18. B. de Broc (Les Mousquetaires) à 17.6 m; 19. J. Grégoire (Banque Populaire) à 17.9 m; 20. T. Rouxel (Défi Mousquetaires) à 19.1 m; 21. F. Rivet (Novotel Caen) à 19.8 m; 22. J.P. Mouren (M@rseillEntreprises) à 19.9 m; 23. M. Emig (A.ST Groupe) à 20.4 m; 24. N. King (Nigel King Yachting) à 22.3 m; 25. M. Lepesqueux (Rapid’ Flore – Caen-La-Mer) à 23.5 m; 26. E. Nigon (AXA Atout Coeur Pour Aides) à 24.4 m; 27. P. Bougard (Kogane) à 25.3 m; 28. C. Lebas (LoLa La piscine assemblée) à 27.4 m; 29. G. Le Mière (Basse-Normandie / OTCex Group) à 28.2 m; 30. L. Pellecuer (Cliptol Sport) à 28.2 m; 31. J.C. Monnet (Degrémont Suez Source de Talents) à 28.2 m; 32. L. Wardley (Sojasun) à 28.5 m; 33. T. Duprey du Vorsent Thierry (Domaine du Mont d’Arbois) à 28.9 m; 34. A. Belloir (CAP 56) à 29 m; 35. A. Loison (All Mer Inéo Suez) à 29.1 m; 36. P. O’Rian (City Jet) à 29.6 m; 37. M. Thiercelin (Siemens) à 30.2 m; 38. E. Defert (Suzuki Automobiles) à 30.3 m; 39. A. Tripon (Gedimat) à 30.5 m; 40. A. Pedro Da Cruz (Baïko) à 32.1 m; 41. Q. Le Nabour (Votre Nom pour Le Figaro) à 38.7 m; 42. L. Nabart (Corsica) à 41.4 m; 43. J.P. Le Meitour (Construction Dorso) à 42.4 m; 44. J.F. Bulot (Crédit Mutuel de Normandie – Ville de Caen) à 43 m; 45. J. Le Baut (Port Olona – Arrimer) à 62 m; 46. J. Bird (GFI Group) à 94.8 m.

Non localisés : T. Chabagny (Brossard) et R. Nagy (Théolia)
Abandons : E. Svilarich (Grain de Soleil) et D. Bouillard Didier (MEDevent)