Qui peut arrêter Yann Eliès ? Depuis le départ de Plymouth samedi au coucher du soleil, il a presque toujours mené le train à l’exception de quelques heures quand les calmes ont scotché toute la flotte avant les côtes irlandaises. Car si cette deuxième étape qui proposait un aller-retour en mer Celtique via le phare du Fastnet, semblait simplissime avec un vent de Nord-Est modéré par le travers, il s’avère que c’est une manche très tactique qui va s’achever en baie de Morlaix dans la nuit de mardi !
Passant deuxième au Nord des Scilly sur le trajet aller avec trois minutes de retard sur Gildas Morvan (Cercle Vert), Yann Eliès mettait du charbon quand il a fallu traverser une première fois la mer Celtique et malgré les calmes qui regroupaient toute la flotte en fin de deuxième nuit à l’approche de l’Irlande, il s’échappait de nouveau au passage du Fastnet : huit minutes d’avance sur Gildas Mahé (Interface Concept)… La suite ne faisait que confirmer l’aisance du double vainqueur de La Solitaire du Figaro qui réussissait à grappiller encore des milles au près, sur le retour vers les Scilly. Choisissant une route septentrionale, Yann Eliès créait du décalage latéral malgré les nombreuses bascules défavorables de ce bord alors que la flotte s’étalait de plus en plus en longitudinal !
Ses poursuivants, emmenés alternativement par Jérémie Beyou, Corentin Horeau, Gildas Mahé et Fabien Delahaye (Skipper Macif 2012), arrivaient difficilement à tenir le rythme alors que le leader multipliait les courtes siestes… Seule incertitude du premier : où était passé Alexis Loison (Groupe Fiva), 18ème au pointage du Fastnet avec 21 minutes de retard ? Le vainqueur de la première étape avait en fait choisi de se démarquer en glissant nettement sous le vent du peloton et réussissait une belle « cuillère » pour passer 6ème devant les Scilly ! Et pendant ce temps, les retardataires voyaient s’éloigner la tête de course qui bénéficiait toujours d’une brise plus profitable : le petit train s’étalait avant l’archipel sur plus de dix milles…
L’aiguillage du DST
Trois zones de trafic maritime (DST) interdites ainsi que l’archipel des Scilly lui-même, offraient quelques opportunités stratégiques pour tenter des coups. Mais seuls Alain Gautier (Generali) suivi par Nicolas Jossier (In Extenso-Experts Comptables) eurent l’audace de tenter leur chance en passant sous ces DST : cette voie méridionale rallongeait un peu la route mais permettait de se caler dessous la flotte dans l’espoir d’une bascule favorable ou d’un calme espéré… Il n’en fut rien jusqu’en ce milieu d’après-midi puisque la brise se renforçait dès l’archipel paré, à 15-20 nœuds en tournant à l’Est !
La « locomotive » Eliès pouvait alors tranquillement obliquer vers Roscoff, au près débridé sur une mer devenue bien agitée par les courants de la Manche. Le « tender » Horeau-Beyou était décroché tandis que les « rames » suivantes s’étalaient de plus en plus après la « station » Scilly ! Quant au « wagon » Gautier-Jossier, il se retrouvait sur une voie de garage avec respectivement onze et quatorze milles de retard sur le leader…
Terminus Roscoff !
Ce dernier grand bord vers l’arrivée ne devrait finalement pas provoquer de retard en gare de Roscoff : le TER (Trans Eliès Rapide) devrait être au rendez-vous annoncé entre 2h00 et 4h00 mercredi. Car même si la voie est chaotique avec une mer courte et cassante dans un vent d’Est-Nord Est 15-20 nœuds, les « rails » sont quasiment tout droit avec une marée montante favorable vers 18h30. A moins d’un bouleversement météorologique imprévu d’ici l’île de Batz, comment arrêter un express à pleine vapeur ?
Pour la suite, la bataille fait rage par tandem ou petits groupes : Jérémie Beyou et Corentin Horeau restent accrochés ensemble depuis la mer Celtique à 4,5 milles du leader, suivi par Fabien Delahaye et Gildas Mahé en embuscade tandis qu’Alexis Loison à plus de six milles va avoir du mal à conserver sa première place au classement général. Et derrière les rames s’étalent et les solitaires au-delà de la 20ème place ont déjà un wagon de retard avec plus de dix milles au compteur ! La hiérarchie va être drôlement chamboulée à la mi-parcours de cette édition de La Solitaire du Figaro.
Ils ont dit…
Yann Eliès (Groupe Quéguiner-Leucémie Espoir) : « J’ai démarré en premier en chopant le courant, j’ai repris un petit mille d’avance, mais ce n’est qu’un coup d’élastique, je m’attends à les voir revenir… J’étais inquiet de savoir où était Alexis (Loison), parce qu’il était 2e au classement ce matin et je ne l’avais pas à l’AIS, mais en fait, il fait comme nous. Je ne suis pas trop confiant. Le vent n’est pas très stable… Il faut toujours se remettre en question pour voir s’il n’y a pas d’autres scénarii possibles et rester concentré. »
Alain Gautier (Generali) : « Cette option s’est décidée ce matin : pour mon petit dej’, j’avais envie de me faire des œufs bacon et ça gîtait trop. Du coup je me suis dit que j’allais abattre pour mettre le bateau à plat. Il y a eu un refus et je me suis dit que si ca continuait comme ça, on aurait des bords à tirer pour aller aux Scilly. Quitte à tenter quelque chose, c’était le moment. Pour la suite, on fera avec ce qu’il y aura. L’option avait peu de chance de marcher mais il fallait la tenter. Si le vent refuse un peu plus que prévu, ça peut marcher. »
Gildas Mahé (Interface Concept) : « J’étais 5ème au passage des Scilly. Cadre somptueux avec du courant, du vent : que demander de plus ? Jusqu’ici il y a eu un peu de tout, de longs bords, du portant, de la pétole… J’envisage la suite en observant mes petits collègues et en essayant de m’étalonner en vitesse avec eux pour ne pas me faire décrocher et en surveillant derrière. Pour l’instant, il n’y a pas de grosses options à jouer, on anticipe une petite rotation du vent à droite donc on va essayer de redescendre avec le vent refusant. »
Yoann Richomme (Skipper Macif 2014) : « On vient de passer les Scilly : on en a pris plein des yeux ! Mais côté course, c’est un peu la galère, je m’attendais à ce qu’il y ait plus de brise qui rentre en fin de nuit. Mais ça n’a pas été le cas. En sortie du DST, il y a eu des grosses cassures qui se sont faites. Ceux qui pointaient devant moi sont tous partis, j’ai réussi à m’extraire du groupe de derrière mais pas assez. Et comme plus tu es devant, plus tu as de vent, les autres ont continué à grappiller. Et on va encore prendre des milles aujourd’hui parce que les premiers vont avoir le courant avec eux et nous contre. J’ai l’impression que le scénario est toujours le même… »
Thierry Chabagny (Gedimat) : « Il n’y a plus grand chose à faire. Cela va être compliqué de faire des gros coups. C’est plutôt de la conduite et de la vitesse. C’est de la course poursuite, un peu sur le même schéma que la première étape. Mais ça forge le caractère et on ne sait jamais, il faut être à l’attaque jusqu’à la ligne d’arrivée. »
Classement de 15h
1 GROUPE QUEGUINER LEUCEMIE ESPOIR ELIES Yann à 82,01 milles
2 BRETAGNE – CREDIT MUTUEL PERFORMANCE HOREAU Corentin à 3,96 milles
3 MAITRE COQ BEYOU Jérémie à 3,98 milles
4 SKIPPER MACIF 2012 DELAHAYE Fabien à 4,47 milles
5 INTERFACE CONCEPT MAHE Gildas à 4,88 milles
6 CERCLE VERT MORVAN Gildas à 5,57 milles
7 GROUPE FIVA LOISON Alexis à 5,70 milles
8 AGIR RECOUVREMENT HARDY Adrien à 5,80 milles
9 UN MAILLOT POUR LA VIE DOUGUET Corentin à 5,86 milles
10 NORMANDY ELITE TEAM DALIN Charlie à 5,98 milles