C’est ce samedi, vers midi, à 80 milles de Villefranche que ça tomba à l’eau.
La mer est maintenant très agitée avec 4 mètres de creux qui commencent à bien déferler. Les chocs sur le flanc du bateau font penser qu’on va l’exploser.
Par moments, on réussit à ne pas faire taper le bateau. À d’autres, la mer est un vrai champ de mines et ça cogne fort quand on retombe. C’est au moment de l’un de ces chocs, que j’ai vu, incrédule, le bas hauban bâbord tomber sur le pont. La seule solution : virer, mais avec l’agitation de la mer, j’ai vraiment peur de tout prendre sur la tête. Je préviens Patrick. Le temps qu’il sorte, la vague d’après arrive et le mat tombe. Pour qu’il ne frappe pas la coque, Patrick tient un bout de tube. Tout s’enchaîne très vite. Je récupère la pince à haubans et c’est parti pour le grand nettoyage. Avec la mer qui a encore forci et déferle, pas facile de faire dans le détail. Notre priorité est d’éviter que le bateau ne soit percé par un espar.
« Une main pour toi et une autre pour le bateau, s’il souffre donne lui encore trois doigts », dit le dicton. Je crois que nous avons eu trois mains pendant quelques minutes. (À ce propos, il faut une grande longe à la pince à haubans afin de pouvoir l’avoir autour du cou et la lâcher quand nécessaire pour se tenir).
Tout part à l’eau sauf la bôme pour essayer d’établir un gréement de fortune.
On abandonnera cette idée après l’avoir prise sur la tête. Avec un tirant d’eau assez profond pour notre taille (1,60m pour 6,50), les rappels sont très brutaux sans le gréement pour amortir. Nous mettons en place l’ancre flottante pour que le bateau garde une position sécurisante par rapport aux vagues. Il ne faut pas penser tenir l’ancre flottante à la main une fois qu’elle est à l’eau. Nous l’avons mise à l’eau sur le flanc arrière du bateau en pensant se passer l’aussière de l’un à l’autre pour l’amarrer à l’avant. Impossible.
Elle restera à l’arrière, sur la barre d’écoute, et le bateau cul aux vagues.
La désillusion
Une fois tout paré et les autorités prévenues, je me suis retrouvé comme un con, assis,allongé au fond du cockpit, avec une équation simple en tête : plus de mat = plus de course = pas de victoire = pas de milles pour la qualif. = il ne reste plus qu’à se sortir de ce bordel.
Le Cross, d’abord prévenu par VHF de notre démâtage et de notre intention d’établir un gréement de fortune, puis de notre volonté d’être remorqués lorsque nous serons plus proches de la côte, s’est montré très efficace. Un avion de la marine nationale nous a survolé presque immédiatement il me semble. Quand il a largué un fumigène, nous avons compris que c’était pour l’hélico. Là aussi tout va très vite et vous n’avez pas le choix. Le plongeur descend sur le bateau (quel as ce pilote !), dit quelques mots sympas, attrape le premier à sa portée et hop, en l’air. Ce n’est qu’une fois assis dans le gros machin vibrant de partout que, regardant en bas Patrick et Capian, je me dis : « Mais, il y a un truc qui cloche, on laisse le bateau ! ». Consternation.
L’hélico nous dépose sur son bâtiment, le «Lamotte Picquet », à bord duquel l’accueil est à la fois très chaleureux de la part de l’officier qui nous guidera à bord et curieux de la part des autres marins, étonnés de voir débarquer des « naufragés » dans leur monde. Nous aurons l’honneur de rencontrer le Pacha. Le météorologiste à bord nous montre les cartes météo de la zone, dont une prévision 11 beaufort. Pas jojo! Coup de téléphone du bord pour rassurer nos familles et deuxième tour d’hélico,
nous voici à Bonifacio. Nous y sommes accueillis par un camion de pompiers attendant de grands blessés et presque déçus de nous trouver en bonne santé mais amusés de notre tenue (et oui ce sera bottes de mer jusqu’à Marseille !). Le camion est arrêté net au milieu du village par un grand type qui nous fait descendre. C’est Guy, un fervent du Tour de Corse à la voile, qui nous fait une grande démonstration de la chaleur de l’accueil corse. Nous passons sans transition de l’hélicoptère à une table de son restaurant où il nous invite à déguster ses spécialités.
Ce soir-là, c’est l’avalanche de coups de téléphone de proches et d’amis qui viennent aux nouvelles et apporter leur soutien. Cela nous a bien aidé alors que le moral était au fond des chaussettes : on n’aura ni gagné, ni terminé la course et on ne sait même pas si on pourra récupérer le bateau mais ce qui est sûr c’est que nous n’étions pas seuls !
Nous passerons trois jours à Bonifacio essayant d’organiser le remorquage du bateau, sans grand succès. En effet, les prévisions météo restent mauvaises et personne ne veut aller chercher un voilier de 6m50 à 40 milles au large dans le baston. C’est mardi matin, que nous débarquons du ferry à Marseille, avec un gros espoir : Gilbert Lefebvre, qui est très présent dans le circuit Mini, était à Alghero pendant nos péripéties et est parti à la recherche de Capian, guidé par sa balise de positionnement…