C’était une arrivée tonitruante, pour ne pas dire pétaradante. Ce matin, à l’aube, un sacré bel orage s’est invité au milieu des bateaux, d’innombrables éclairs striant le ciel au large de l’île d’Yeu. Pluie, arc en ciel, nuages roses se sont ensuite révélés avec les premiers rayons du soleil, pour accompagner en son et lumière l’arrivée du vainqueur. Jérémie, encore lui, remporte tous les lauriers sur la ligne des Sables d’Olonne. C’est sa cinquième victoire d’étape depuis 1997.
Sur les pontons de Port Olona, au terme de cette troisième étape où il a tant donné pour rester en tête, il parle avec ses mains et ponctue de longs « pffffffff » des bouts de phrases inachevées. « Je ne boude pas mon plaisir mais je suis cramé (…) Pendant trois jours, je me suis demandé comment rester devant. Ça s’est joué à rien, c’est la petite relance au bon moment, c’est pinaillé comme un fou sur les réglages. Et en fait, plus tu avances et moins t’as envie que les mecs te doublent ».
Les mecs en question s’appellent Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham), Erwan Tabarly (Nacarat), Thierry Chabagny (Gedimat), Nicolas Lunven (Generali) ou Jean-Pierre Nicol (Bernard Controls) pendant un temps. Tous sont restés dans la roue de BPI sans jamais parvenir à le doubler. « Je n’arrivais pas à tenir la cadence, il allait trop vite » confie Fabien Delahaye. Le jeune normand est sans nul doute l’autre homme fort de cette 42e Solitaire. Vainqueur du premier acte chez lui à Caen, il termine deuxième aux Sables d’Olonne, une place qu’il occupe aussi au classement général provisoire à 34 minutes et 15 secondes de Beyou.
Cette troisième manche n’avait l’air de rien. Elle s’est déroulée majoritairement vent de travers, avec un brin de près sur un bord et une dosette de spi le long de la Bretagne, le tout dans un vent medium, toujours suffisant pour avancer. Pas de météo extrême, pas de grandes manœuvres stratégiques, ni de grosse mistoufle. Tout s’est donc joué à gagne-petit, sur des micro-options, des mini transitions à exploiter, du placement, de la vélocité. Or, ces petits coups, mis bout à bout, ont eu de grands effets. Il y eut de nombreux mouvements d’ascenseur au sein de la flotte. Parmi les gagnants, on trouve entre autres Frédéric Duthil (Sepalumic), Paul Meilhat (Macif 2011), Morgan Lagravière (Vendée) ou encore Xavier Macaire (Starter Active Bridge) qui gagnent tous entre 10 et 30 places pendant la course. Neuvième chez lui, Morgan Lagravière s’est une fois de plus illustré au premier rang des bizuths et s’installe un peu plus confortablement dans le fauteuil de leader au général provisoire dans cette catégorie.
Deux favoris hors circuit
Dans la liste des « perdants », l’Anglais Phil Sharp (The Spirit of Independence), extrêmement bien placé pendant toute la course, a tout perdu hier soir après s’être pris dans un immense banc d’algues ; plus extrême encore, la régulière dégringolade de Francisco Lobato (Roff) qui termine aux Sables d’Olonne plus de 4 heures derrière le premier. Deux grands favoris se voient écartés, pour ne pas dire éliminés de la course à la victoire finale : Eric Drouglazet (Luisina), trentième, prend 2h31 de débours tandis que Gildas Morvan (Cercle Vert) dont l’option au vent de Belle Ile s’est révélée funeste, accuse 3h et 36 minutes de retard sur BPI ! Paradoxalement, cette étape qui n’avait rien de très spectaculaire, a généré des écarts importants.
A 14h45, soit plus de 6 heures après l’arrivée du premier, il restait encore un concurrent en mer. Il s’agit d’Arnaud Godart Philippe (Senoble). Son bateau a pris la foudre cette nuit, il n’a plus de VHF. Après avoir contacté le sémaphore de Saint Sauveur, il a décidé d’abandonner sur l’étape et de rentrer au moteur.
Ils ont dit
Jérémie Beyou (BPI), vainqueur de la 3e étape : « Je me suis demandé pendant trois jours comment rester devant. Parce qu’il faut tenir au près, au portant, au reaching. Je me suis dit : au portant, ils vont me déboîter. Tout cela se joue à rien du tout. C’est la petite relance au bon moment, c’est se faire c… comme un fou sur les réglages. Et en fait, plus tu avances et moins tu as envie que les mecs te doublent. Tu te dis : ‘je n’ai pas fait 100 milles, puis 200 milles, puis 300 milles pour rien… au bout de 400, tu te dis que ce n’est pas le moment de te faire doubler par Fabien dans la molle. Tu imagines ? Deux jours, presque trois, en tête avec seulement 0,4 milles d’avance. Les circonstances favorisaient le fait que les autres reviennent par derrière. Je n’ai jamais réussi à m’échapper. Alors à un moment, tu joues petit et tu te dis : il faut à tout prix la gagner. Je ne voulais pas la laisser à quelqu’un d’autre. Gagner une étape, c’est le summum de ce qu’un marin peut rêver. Je ne boude pas mon plaisir, mais je suis juste un peu cramé ».
Fabien Delahaye (Port de Caen-Ouistreham), 2e : "Jérémie (Beyou) a mené de bout en bout, il a toujours été dans les bons coups, et dans les transitions où la tête de flotte s’est resserrée, il a toujours maintenu son leadership. Je n’ai pas réussi à tenir sa cadence pour toute la traversée de la mer d’Irlande : il allait trop vite. Mais j’ai pu doubler Erwan (Tabarly) au large serré sous spi dans la dernière nuit : j’étais peut-être un peu plus frais que lui. Le son et l’image en même temps, ça fait un peu peur ! On hésite à toucher quelque chose, à tout éteindre. Yoann (Richomme) a même été touché par la foudre : il n’avait plus rien…Comme toujours, la victoire se joue sur de petits riens. Une manœuvre trop tardive et il faut mettre une journée pour reprendre les cinquante mètres perdus… "
Erwan Tabarly (Nacarat), 3e : « La fin de course a été sport : il y avait du vent, puis des calmes, des orages, des bascules… C’était assez compliqué. Le ciel s’est déchiré sous les éclairs : je n’étais pas fier. Au final, ça ne se joue pas à grand-chose, mais Jérémie est encore premier, même si ce n’est pas très loin devant ! Pour arriver à gagner quelques dizaines de mètres, c’est vraiment du boulot. Depuis deux jours, nous sommes tous les trois devant et Fabien (Delahaye) m’a doublé cette nuit sous spinnaker : j’ai eu un passage à vide et ça ne pardonne pas. »
Morgan Lagravière (Vendée) 9e et 1er bizuth : « Même s’il n’y avait pas de grandes options, il y avait plein de petits coups à ne pas rater. Et à l’arrivée, il y a Jérémie (Beyou), Fabien (Delahaye)… qui sont encore devant : ce sont régulièrement les mêmes, ce n’est pas pour rien ! Même sur des étapes comme celle-là, il faut quand même se faire mal. »
Classement général après 3 étapes
1 Jérémie Beyou BPI Arrivé en 184h31’40"
2 Fabien Delahaye PORT DE CAEN OUISTREHAM + 34’15"
3 Nicolas Lunven GENERALI + 40’52"
4 Thomas Rouxel BRETAGNE CREDIT MUTUEL PERFORMANCE + 56’41"
5 Erwan Tabarly NACARAT + 01h07’24"
6 Laurent Pellecuer ATELIER D’ARCHITECTURE JEAN PIERRE MONIER + 01h22’07"
7 * Thierry Chabagny GEDIMAT + 01h28’28"
8 Anthony Marchand BRETAGNE CREDIT MUTUEL ESPOIR + 01h32’18"
9 Jean-Pierre Nicol BERNARD CONTROLS + 01h33’31"
10 B Morgan Lagravière VENDEE + 01h34’06"