Ambiance ciré, bottes, bonnet, capuche ! Les 470 milles entre Caen-Ouistreham et Dún Laoghaire seront humides, agités et fastidieux. Et il faudra compter trois nuits de mer car les prédictions de routage estiment l’arrivée des premiers mercredi au petit matin, si le scénario général se déroule comme prévu. La cause ? L’arrivée d’une nouvelle perturbation atlantique sur la presqu’île du Cotentin dans la nuit de dimanche à lundi. Une dépression certes peu marquée et en voie de déliquescence mais un passage de front assez musclé, le tout générant une mer formée aux abords des îles Anglo-Normandes et à l’entrée de la Manche. De quoi inciter les 47 solitaires à se préparer non seulement psychologiquement, mais aussi physiquement même si les tranches de sommeil pourront être plus importantes que sur la première étape quand le monotype sera bien calé au près. Le bateau lui aussi subit ces dernières heures un check-up complet (gréement, ballasts, voiles…) et un rangement rigoureux pour affronter plus de deux journées de « shaker »…
Le synopsis est écrit même si la fin conserve son suspens : le départ sera donné à 16h devant les plages de Ouistreham avec un parcours de préambule de 7,5 milles jusqu’à la bouée de Radio France. Sachant que la marée haute dimanche 7 août est à 17h20 pour un coefficient de marée de 56, la flotte va rapidement rallier la pointe de Barfleur dans un flux de secteur Sud-Ouest d’une quinzaine de nœuds (45 milles à parcourir). C’est donc à la renverse que les skippers vont aborder les rives Nord du Cotentin lorsque le front va passer : ils devront alors louvoyer dans un régime nettement plus musclé puisque le vent va monter à 20-25 nœuds en prenant une composante Ouest ! De ces 25 milles pour atteindre le Raz Blanchard, sortira une première hiérarchie entre ceux qui chercheront à longer les côtes normandes pour s’abriter des vagues et ceux qui partiront au large pour affronter moins de courant contraire.
Une fois franchi ce cap difficile, les concurrents vont encore devoir louvoyer puisque les îles d’Aurigny, de Herm et de Guernesey doivent être laissées à tribord dans un vent oscillant entre le Sud-Ouest et l’Ouest : navigation dans le front avec son lot de pluie, d’averses, de grains… Trente milles encore rudes avant que le vent bascule au Nord-Ouest derrière le front : et encore du louvoyage jusqu’aux îles Scillies avec des rafales jusqu’à 30 nœuds et une mer formée. L’ascension jusqu’à la mer d’Irlande s’annonce longue !
Il restera encore 200 milles en mer d’Irlande puis dans le canal Saint-Georges… Justement quand la brise va mollir au large de la Cornouaille, mais aussi basculer au secteur Nord-Ouest à Nord : encore du louvoyage sur une mer toujours formée. Et après deux jours et deux nuits de navigation, il faudra rester clairvoyant car une dorsale anticyclonique avec son quota de calmes et de changements de vent va couvrir la flotte au large du Canal de Bristol. Le choix stratégique à ce moment clé va dépendre du déplacement vers l’Est ou de la stabilité de cette dorsale sur zone, un vent de secteur Sud pouvant alors remettre en jeu tous les efforts accomplis pour cette longue ascension jusqu’au 53° Nord…
Ils ont dit
Laurent Pellecuer (Cabinet d’Architecture Jean Pierre Monier) : « Il faut s’attendre à du vent de face, suffisamment fort pour secouer tous les bateaux. On attend toujours les derniers fichiers pour savoir quelle sera la dose de difficulté : raisonnable ou aggravée. On prévoit deux cirés au lieu d’un parce qu’on sait que le premier sera trempé tout de suite, peut-être deux paires de bottes aussi parce que c’est insupportable d’avoir les pieds mouillés. »
Laurent Gouezigoux (Valorisons) : « L’objectif est d’avoir le bateau bien prêt en mode « baston ». Je revérifie un peu tout : le serrage des manilles, des écrous, je fais attention à ce que tout soit bien souqué pour que rien ne lâche. J’emmène une combinaison sèche parce qu’on sait que ça va être humide avec les paquets de mer et aussi la pluie… Mais bon, pas d’affolement car il n’y a pas non plus 40 nœuds d’annoncés ! »
Eric Drouglazet (Luisina) : « La différence, c’est qu’on travaille beaucoup sur la navigation. Comme on va faire du près, quelques zigs et quelques zags, il y aura des choix de bord importants dans les endroits comme le Raz Blanchard par exemple. On fait des probabilités d’arrivée dans certains secteurs parce qu’à un moment, on sera obligé d’aller à fond dans les cailloux pour se protéger du courant. »
Alexis Littoz-Baritel (Savoie Mont Blanc) : « La seule fois où je me suis fait brasser en Figaro, c’était il y a un an presque jour pour jour lorsque j’avais ramené le bateau de Yoann (Richomme) de Cherbourg à Port La Forêt. On s’était pris 40 nœuds. Mais là, on n’aura pas autant, peut-être 20 nœuds et plus. Ce sera un peu plus physique, il faudra passer du temps à la barre. Et ce sera la première fois que je passerai autant de temps en mer seul. »