Nous voici à la fin de la terre, aux premières lueurs de l’aube. L’éclat du Four semble être un projecteur-poursuite installé là pour accentuer l’effet théâtral. La pleine lune guide les étraves en faisant scintiller une mer gris acier, à peine animée d’une houle miniature. Les contours sombres des récifs rappellent que mieux vaut être ici dans des conditions légères que l’inverse. Devant, derrière, autour, partout, des loupiotes. Quarante-cinq. On s’attend à entendre une voix céleste : "mesdames et messieurs, voici les Figaristes, applaudissements s’il vous plaît." Honnêtement, on ne connaît pas beaucoup d’endroits aussi sublimes pour naviguer. Bientôt nous aurons droit à Molène, à Sein… mais n’anticipons pas.
A contre-courant, on embouque donc le chenal du Four dans des conditions de demoiselle. La grande nouvelle est que les spis ont fleuri. Le vent de Nord-Ouest tant attendu est enfin là, depuis 4h ce matin. Et même faible (7 noeuds), c’est un bonheur de marin, après tout ce près. "Avec tout le jeu qu’il y a eu sur la côte nord, notamment en baie de Morlaix, puis sous l’effet de la renverse de courant, il y a eu un resserrement très net de la flotte", confirme Jacques Caraës, directeur de course. A la vacation tout à l’heure, on sentait d’ailleurs les marins presque rassurés. De fait, personne n’a réellement hypothéqué ses chances : ce matin les trente premiers tiennent en trois petits milles… soit 1% de la distance restant à couvrir d’ici à Gijón pour la tête de flotte. Les positions ont valsé, mais absolument rien n’est joué.
Un bizuth entre deux "ex" en tête
Un pour qui c’est Noël aujourd’hui, s’appelle Yoann Richomme (DLBC). Il est bizuth. Il est deuxième. Entre deux récents vainqueurs de La Solitaire. Chapeau, l’artiste. Juste devant lui, à 300 mètres, l’homme de tête s’appelle Armel Le Cléac’h (Brit Air). Juste derrière, à 1 mille, son poursuivant immédiat s’appelle Jérémie Beyou (BPI). Yoann ce matin est entre deux monstres. Deux vainqueurs de La Solitaire, deux héros du Vendée Globe aussi. Il y a de quoi être impressionné, mais ce n’est visiblement pas le genre de la solide maison Richomme.
L’échouage du Figaro de Yann Eliès hier soir (lire la dépêche) n’est plus qu’un mauvais souvenir. Yann est même dixième ce matin. Entre lui et le trio de tête, on trouve ceux qui ont le mieux tricoté à terre dans les cailloux de la belle Bretagne nord : Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile, 4e), Damien Cloarec (Port de Plaisance Roscoff, 5e) encore un bizuth ! Puis Erwan Tabarly (Nacarat, 6e) à 1,5 milles de Brit Air et à égalité à ce titre avec Ronan Treussart (Lufthansa, 7e), Jeanne Grégoire (Banque Populaire, 8e) et Laurent Pellecuer (Arnolfini.fr, 9e). Voici donc les dix éclaireurs ce matin qui luttent contre le courant dans le chenal du Four. Mais tous sont revenus dans le match et tant mieux pour le suspense de cet Acte II autour du Finistère. Un dernier coup d’oeil sur le pont. Le jour se lève. Une forêt de voiles-ballons danse. Maman c’est beau les petits bateaux.
BM/ à bord de DC Mer
NB/François Gabart n’était pas positionné par sa balise ce matin, mais en visuel, il joue dans les cinq premiers…
Echos du Large
Armel Le Cléac’h (Brit Air), 1er au classement de 4h30 : « La deuxième nuit a été encore assez compliquée. On descend dans le Four avec le courant contre, sous spi. La météo n’est pas conforme : il n’y a pas eu de long bord tout droit entre Guernesey et le Four, on a dû faire du louvoyage, ça a pimenté un peu le jeu. La bascule au nord-ouest n’est arrivée que tard, donc ceux qui sont allés à terre jouer avec le courant s’en sont bien sortis. J’étais un peu vert car je me suis fait doubler en baie de Morlaix, mais j’ai réussi à rattraper le coup dans les Abers. Je n’ai pas beaucoup dormi avec les gros paquets d’algues sur l’eau, juste de petites siestes à droite à gauche. Après le Raz de Sein, on pourra aller à la bannette un peu plus souvent.»
Corentin Douguet (E.Leclerc Mobile), 4ème au classement de 4h30 :« Ce n’est pas facile : Il faut tenir le coup jusqu’à la sortie du Four et se reposer ensuite. Je me suis refait en allant hier le premier dans la baie de Morlaix pour m’abriter du courant. La mésaventure de Yann hier soir, j’étais aux premières loges, à quelques longueurs de lui. C’est un jeu qu’on pratique fréquemment de tirer des bords dans les cailloux pour s’abriter des courants. Je pensais qu’il était à l’intérieur. Je l’ai vu entrer dans une zone pleine de cailloux, je l’ai vu à la plage s’échouer, (ndr/Corentin a essayé d’appeler Yann à la VHF, sans succès) je pensais juste qu’il était un peu trop joueur et en fait il s’est endormi. Là, c’est parti pour un paquet d’heures sous spi dans du petit temps. Les spis je crois qu’on va les ranger à Gijón maintenant… »
Arthur Le Vaillant (Philia Promotion Immobilière), 40ème au classement de 4h30 : « J’ai un peu trop attaqué au large et je me suis bien fait avoir, donc j’essaie de rattraper tout ça. On est une petite bande avec Karine (Fauconnier) et Kito (de Pavant) pas trop loin. Il y a du niveau, ce n’est pas simple d’être devant, mais hyper intéressant. J’apprends plein de choses et j’aime vraiment ça ! Quatre bizuths sont dans les dix premiers, donc il va falloir cravacher dur pour les rattraper mais j’ai confiance, il y a encore de la route. J’espère que ça va encore mollir devant pour revenir »
Armel Le Cléac’h mène la flotte à la pointe de Bretagne
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