Faire de la vitesse et serrer le vent. Voilà le menu du jour pour les 52 Figaristes lancés, au près, dans la traversée de la dorsale anticyclonique depuis la nuit dernière. Tous semblent viser un point fictif au sud du Fastnet. « The Rock » n’est pas marque de passage, mais c’est dans son sud immédiat que pourrait bien se jouer le prochain moment clé de l’étape. A savoir une phase de transition entre le vent d’ouest à nord-ouest actuel qui oblige à vivre penché et la bascule au sud-ouest, prévue demain, qui permettra d’ouvrir les voiles en grand et d’envoyer les spis pour accélérer nettement vers Dingle, encore distante d’un peu moins de 190 milles ce mercredi après-midi.
Dans cette grande bataille vers l’Irlande, on peut constater d’abord que les leaders au classement général sont une fois de plus dans le coup. Le jeune Nicolas Lunven (CGPI, 11e à 1,9 mille) tient parfaitement son rang de maillot jaune et bénéficie en outre d’un bonus non négligeable : il navigue à vue, quasiment bord à bord, avec son plus dangereux adversaire Yann Eliès (Generali). Ce n’est pas forcément du luxe. Ces deux-là sont dans le paquet des leaders, le plus proche de la route directe, mais aussi le plus à l’est de la flotte. Ce petit groupe est emmené depuis hier par Antoine Koch (Sopra Group) et Armel Tripon (Gedimat), tous deux auteurs d’une remarquable trajectoire. Entre autres…
Avantage gauche ?
Entre autres, car dans l’ouest on est passé à l’attaque. En virant de bord un peu plus tard dans le début de la dorsale la nuit passée, des ténors comme Armel Le Cléac’h (Brit Air), Gildas Morvan (Cercle Vert), Charles Caudrelier Benac (Bostik) et Erwan Tabarly (Athema) ont joué une carte importante. Ceux-là semblent désormais idéalement placés, à la fois parce qu’ils sont plus proches du vent venant de l’ouest et surtout parce qu’ils anticipent avec davantage de marge le fameux passage au sud du Fastnet. « Il faut attendre » assure Michel Desjoyeaux (Foncia), qui s’y connait un peu en stratégie, « mais je donnerais bien quelques crédits de plus à ceux de l’ouest.»
Au pointage de 16h, on constate un premier changement d’importance : Armel Le Cléac’h – un homme de l’ouest donc – vient s’intercaler en deuxième position à 0,2 mille, juste devant Armel Tripon qui était jusqu’ici quasiment à égalité avec Antoine Koch en tête et dont le Gedimat se retrouve désormais 3e à 0,6 mille. Et ce n’est pas un hasard, car cette alternance entre un homme de l’ouest et un homme de l’est se répète avec une régularité de métronome dans les 15 premiers. Il n’y a pourtant guère que 5 milles d’écart latéral entre la pointe gauche et la pointe droite des leaders… mais quelle bagarre !
Absolument rien n’est joué au moment où les concurrents sortent de la Manche ce soir, pour s’atteler à la traversé de la mer Celtique. Et côté spectacle, pardon aussi : avec les deux leaders du général à droite (Nicolas Lunven et Yann Eliès) et leurs deux poursuivants immédiats (Charles Caudrelier Benac et Armel Le Cléac’h) de l’autre côté, on attaque à tous les étages dans cette troisième étape vers les brumes d’Irlande. Or, malgré cette débauche d’inventivité et d’idées différentes, les écarts sont toujours infimes : les six premiers en un petit mille, les douze en deux milles, les vingt en quatre milles…
Autrement dit encore, il y a d’ores et déjà peu de chances que l’arrivée à Dingle demain soir jeudi accouche de grands écarts, d’autant que l’accélération avec le sud-ouest atténuera, en temps, les effets des écarts en distance au classement général. Donc il est quasiment acquis que le suspense sera entièrement préservé avant la quatrième et dernière étape, ce dont on avait perdu l’habitude ces dernières années. Pour la 40e de La Solitaire, les Figaristes font décidément fort bien les choses.
BM
Les echos du large :
Michel Desjoyeaux (Foncia, 9e à 16h00) : « Le vent est en train de partir un peu plus ouest, donc on commence à ouvrir les voiles. On va accélérer un petit peu et les camarades au-dessus vont arrêter de nous marcher sur la tête. J’ai fait un début pas trop mal mais cette nuit dans la dorsale, je me suis arrêté net, Charles Caudrelier Benac est passé et j’ai mis beaucoup de temps à me remettre en route. Je ne sais pas trop pourquoi mais je n’arrivais pas à régler correctement le bateau et à le faire avancer dans le petit clapot. Il y a des gens de gauche qui ont réussi à passer la dorsale comme Armel Le Cléac’h, et Gildas Morvan qui s’en sortent super bien, je ne sais pas comment ils ont fait. Quand on va arriver à l’approche de la pointe et de la petite dépression, le vent va passer ouest, puis sud-ouest et à ce moment-là ceux qui sont plus en haut s’en sortiront mieux. Il faut attendre, mais je donnerais quelques crédits de plus à ceux qui sont à l’ouest. Je tire mes cartes météo papier avec mon fax toutes les 6 heures et pour l’instant le schéma météo du départ se confirme. »
Nicolas Lunven (CGPI, 11e) : « Il y a deux groupes, est et ouest, et je suis globalement où je voulais être, donc tout va bien. Le fait qu’il n’y ait pas eu d’écarts à se creuser dans l’anticyclone est plutôt une bonne chose et en plus j’ai Yann Eliès à 100 mètres sous mon vent, qui est mon plus gros concurrent au classement général. Je ne vais pas calquer ma course sur tel ou tel bateau, mais c’est sûr que c’est positif. Je pense qu’on a fait le plus dur la nuit dernière dans l’anticyclone. Je ne pense pas qu’il y aura de grosse mistoufle d’ici l’arrivée, mais tant qu’on n’a pas franchi la ligne… »
Paul Meilhat (Domino’s Pizza, 30e) : « Je n’étais pas content de mon début de course, notamment parce que j’ai chopé plein d’algues qui m’ont ralenti jusqu’à Penmarc’h. Là, je suis bien remonté dans le milieu du paquet, on est au près océanique. Les conditions étaient un peu tordues car le vent a beaucoup varié et la mer était un peu mal rangée mais ça va mieux. Tout va bien. La météo a l’air assez clair… »
Armel Tripon (Gedimat, 3e) : « C’est un peu nouveau pour moi d’être devant sur La Solitaire, et c’est bien motivant ! Il n’y a pas vraiment de pression, c’est plus de l’excitation qui fait que je n’arrive pas trop à dormir franchement… Je régate quand même ! Le vent est à peu près stable, ça ne cartonne pas trop, on se prépare à la nuit prochaine. Dans l’idée générale, il y aura une transition délicate avant de retrouver le vent de sud-ouest. Sinon à bord, c’est musique, chocolat et petite plongée dans l’eau hier pour enlever les algues… Il y a du monde autour, le moral est super bon, c’est quand même agréable d’être là, à jouer avec les tous premiers depuis le début. Il n’y plus qu’à se battre jusqu’au bout et tenir la cadence. »
Nicolas Troussel (Crédit Mutuel de Bretagne, 22e) : « La bataille est âpre, cette nuit et ce matin, ce n’était pas facile… Les bateaux se sont un peu éparpillés, on fera le point au prochain classement. J’ai pas mal dormi cette nuit, mais je me suis fait un peu décrocher, donc je cravache pour essayer de remonter. Pour l’instant il y a un bord un peu obligatoire avec deux options : soit lon fait un peu plus de vitesse ou bien un peu plus de cap. L’arrivée sur Dingle peut être un peu plus compliquée, donc il faut être vigilant pour bien gérer l’atterrissage sur les côtes irlandaises. Il y aura un ou deux petits coups à faire sans doute. Il faut prendre son mal en patience et rester concentré sur la vitesse du bateau. »
Gérald Véniard (Macif, 6e) : « Il y a des petites éclaircies sympathiques, je suis en train de sécher au soleil au moment ou vous m’appelez. On est au près, il reste 200 milles avant d’arriver à Dingle dans la nuit de jeudi à vendredi. »
Antoine Koch (Sopra Group, 1er) : « Ça va pas mal, la nuit s’est plutôt bien passée donc le moral est bon. C’est un peu tout droit maintenant. La difficulté est que le vent est très instable en force et en direction, donc il faut être tout le temps aux réglages de grand voile et pataras pour aller le plus vite possible. Plus on est devant et plus on est dans l’ouest, plus on aura un vent un peu plus fort et adonnant qui sera favorable. Il reste 200 milles à faire, je pense qu’on arrivera en milieu de nuit de jeudi à vendredi. C’est très motivant d’être bien placé dans un bon coup et c’est le meilleur antidote contre la fatigue, mais c’est vrai qu’on n’a pas pu beaucoup dormir. La première clé maintenant est d’aller vite vers la pointe de l’Irlande et il y aura peut-être une phase de transition à gérer entre le vent d’ouest-nord ouest qu’on a maintenant et le sud-ouest. Enfin, le long de la côte irlandaise, ça peut être piégeux, donc il faudra être attentif jusqu’au bout. »