L’équipage d’ABN AMRO TWO qui a gardé une position très au large des côtes argentines continue depuis plus de 18heures à reprendre du terrain aux leaders de la flotte, freinés dans leur élan par des bulles de calmes. La perspective pour Josse et les Kids d’ABN AMRO TWO de recoller aux gros bras de la flotte leur redonne du baume au cœur après qu’ils aient été tenus à distance pendant plusieurs jours à l’approche du Cap Horn, pour cause de leur grand voile déchirée.
Devant la flotte, pour les 10 jours à venir, quelques petites zones déventées à gérer en finesse, puis une belle navigation au portant, avec des vents de 20 à 25 nœuds. Après, au sud de Rio, la seule certitude est qu’il n’y a pas un souffle d’air. Donc on sait déjà que les deux derniers jours vont être super longs et peut-être pleins de bouleversements dans le classement.
Movistar, désormais hors du danger de couler, avance en ce moment à vitesse réduite vers le port argentin d’Ushuaïa pour réparer le capot de boîte de quille, après avoir engrangé 1.5 points lors de son passage du Horn en 6ème et dernière position.
Au classement général provisoire, après ce passage créditeur de points intermédiaires, ABN AMRO ONE consolide son insolente avance et mène désormais avec 42 points, suivi par ABN AMRO TWO avec 30 points qui tient toujours courageusement tête à Movistar (3ème avec 26.5 points), Pirates des Caraïbes (4ème avec 24.5 points), Brasil 1 (5ème avec 22.5 points) et Ericsson (6ème avec 18 points).
Brunel, le bateau australien skippé par le vétéran de la Whitbread Grant Wharington, qui a décidé à son arrivée à Wellington de faire l’impasse sur les deux étapes suivantes afin de modifier entièrement son plan Don Jones, confirme qu’il sera bien au départ de Baltimore pour le reste de la course retour vers l’Europe.
ITV de Sébastien Josse à 05h ce matin.
Dans quelles conditions avez-vous passé le caillou mythique ?
C’était comme au cinéma. 50 nœuds de vent, 10 mètres de creux, au coucher du soleil. La mer était tellement creuse que quand on était dans le fond de la vague on ne voyait plus le soleil et on était dans l’ombre. C’était bizarre. En fait on sentait les vagues arriver parce qu’elles coupaient la lumière du soleil. Nous étions vent arrière à 130 ° du vent. Très rapide. Il fallait vraiment éviter les déferlantes car elles étaient tellement pentues qu’on aurait pu enfourner vraiment grave, jusqu’à coucher le bateau. Sinon, nous sommes passés à une vingtaine de milles du Horn, et quand le grain est passé, nous avons bien vu les montagnes, et le Horn lui-même. C’était vraiment différent des deux autres fois où je suis passé dans le coin. Surtout pendant le Vendée Globe où c’était très calme. C’était comme en croisière, je suis passé au ras des cailloux pour bien voir à quoi cela ressemblait. Il n’y avait pas, comme aujourd’hui, de stress avec des concurrents derrière et des points à gagner devant. Cette nuit, il fallait mettre du charbon car il y avait Ericsson à 6 milles derrière et deux points à récupérer.
Comment avez-vous géré le stress de ces dernières heures ?
En fait, cela se gère relativement facilement. On est uniquement concentré sur la façon dont on va aborder chaque vague, les unes après les autres. Cette concentration extrême sur un problèmeparticulier fait que l’on fait abstraction de la globalité du danger. C’est une vague après l’autre, en essayant de ne pas regarder trop devant ni derrière. Si tu fais cela, tu ne te rends pas compte de la dimension des éléments autour de toi. J’ai pensé aux grands navires des siècles derniers. Quand je pense que certains essayaient pendant un an de passer. C’est dément. Et ceux qui essayaient dans le sens contraire, encore plus. A quel prix pour les hommes !
L’équipage n’a pas été trop impressionné ?
Non. En fait, on n’était que trois sur le pont, avec un barreur, un régleur et un wincheur. Point barre. Tous les autres étaient à l’intérieur, pour des raisons de sécurité. Je suis vraiment soulagé de sortir du coin avec un équipage indemne. Nous n’avons pas eu de blessé. Tout le monde a fait gaffe et surtout j’ai demandé à ceux qui n’avaient rien à faire sur le pont de rester à l’intérieur, en combinaison de survie, au cas où. Quand on a reçu le premier appel de Movistar, on était prêt à aller le chercher car on imaginait bien leur cas de figure, vu les conditions. On a été soulagé quand on a su qu’ils avaient repris le contrôle de la situation. C’était vraiment comme dans les livres. Cela m’a fait pensé au récit de Bruno Peyron dans le 1er Jules Verne, quand il était passé avec Explorer.
Et la grand voile ?
Cela va. En fait on peut maintenant s’en servir, soit avec deux ris, soit en tête de mât. Donc pour l’instant pas, de problème. Nous avons navigué avec deux ris et là comme le vent baisse un peu on va pouvoir renvoyer la toile. Par contre on a déchiré d’autres voiles avant hier. La mer était très formée avant qu’on arrive au Horn et on a enfourné plusieurs fois. Donc nous avons déchiré le spi de capelage, le Code 0 et notre genaker de capelage. Mais nous avons des supers voiliers à bord qui sont déjà à pied d’œuvre pour les réparer. Cela va être un peu plus difficile pour le spi de capelage car on en a perdu un bout. Mais cela ne va pas nous gêner pour les prochains jours, peut-être après, quand il va falloir faire du vent arrière et encore. On a d’autres voiles en réserve. De toute façon, on va s’en sortir.
Alors, vous êtes sortis de l’enfer ?
Oui, je croise les doigts. En ce moment, on voit parfaitement bien la Voie Lactée. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu d’étoiles et c’est bon signe. Il ne devrait plus y avoir trop de nuages maintenant. On va sans doute revoir le soleil. Cela va faire du bien à tout le monde. Aux hommes et aux bateaux. On va pouvoir se sécher, et à l’intérieur, on va pourvoir commencer à évacuer la condensation.
Que pensez-vous des VO 70 pour affronter ces conditions proches de la survie ?
Je pense que leurs plans de pont ne sont pas adaptés du tout. On prend trop de paquets de mer. C’est presque insupportable. Je pense que pour la prochaine édition, tout le monde va réfléchir et regarder ce qui se fait du côté des Open 60. Il y aura sans doute des casquettes pour protéger un peu les hommes sur le pont la prochaine fois. Là, on a l’impression que les architectes ont davantage dessiné des plans de pont pour faire de la régate et pour faire joli que pour affronter les mers du sud. C’est vraiment un peu la guerre sur ces bateaux dans les conditions extrêmes que nous venons d’avoir. Mais globalement cela reste des bateaux extraordinaires. De vrais bombes, à mi-chemin entre les monocoques et les multicoques Open 60. Mais avec l’avantage de ne pas se mettre sur le toit.
























