Entretien avec Damien Seguin

Damien Seguin
DR

A partir de quel moment as-tu compris que tu avais un handicap ?
On se rend vite compte qu’on est différent. Que ce soit grâce aux autres ou à cause des autres. On se compare mais je n’ai pas ressenti qu’il s’agissait d’un handicap car j’ai toujours fait ce que je voulais. C’est l’avantage d’être né comme ça. Je ne sais pas comment je ferais si j’avais deux mains ! La première fois que je l’ai vécu comme un handicap, c’était à 16 ans, quand on m’a refusé la conduite accompagnée. Quelqu’un m’a dit, et en plus une institution, que je ne pourrais pas faire comme les autres car je ne rentrais pas dans les cases. C’est la première fois que je l’ai vraiment vécu comme un frein.

- Publicité -

Tu as pratiqué l’escalade, la voile, des sports connus pour faire appel aux mains. Est-ce que tu voulais prouver quelque chose ?
Pas du tout. Je n’ai jamais fait un choix en fonction de mon handicap. Je ne me suis jamais demandé ce que je pouvais faire. Mes parents m’ont toujours dit de faire ce que je voulais et je les en remercie. Mon père était guide de haute montagne, j’ai donc toujours grimpé, depuis tout petit. On était tout le temps dans les rochers et je n’ai jamais été gêné. Ce qui m’a toujours guidé, c’était mon envie de faire les choses, jamais de prouver quoi que ce soit.

Quel rôle a joué la Route du Rhum 1990 dans ta vocation ?
Ce n’est pas une course que j’ai suivie. Comme plein de gamins en Guadeloupe, j’étais à l’arrivée et j’ai vu Florence Arthaud, Philippe Poupon, Mike Birch et tous les autres. J’ai commencé à m’inscrire à des stages en loisir et ça m’a amené à la compétition. On avait bidouillé un système avec mon père pour me permettre de tenir le stick et l’écoute avec la même main et ça fonctionnait parfaitement. Avec les compétitions, je venais tous les étés en métropole pour disputer les championnats de France au Cap d’Agde. J’ai eu de bons résultats, puis de très bons résultats et ça m’a permis d’intégrer le pôle France en Tornado. L’ENV de Quiberon a ouvert un pôle en Tornado et m’a proposé de passer la sélection. Ça s’est bien passé et en trois mois, nos valises étaient faites et on arrivait à Quiberon. Les objectifs ont grimpé d’un seul coup. Avant, on visait les championnats de France et là, on se projetait éventuellement jusqu’aux Jeux Olympiques. Quand Jean-Jacques Dubois (Cadre Technique Voile) m’a écrit pour me proposer de passer la sélection, il ne savait pas que j’étais handicapé et je n’ai pas pensé une seule seconde à lui en parler. Je n’imaginais pas que cela puisse poser problème puisque la présélection était sportive. Il l’a donc appris le jour de mon arrivée. Je crois qu’ils ont été un peu surpris, ils en ont parlé entre eux et se sont dit que ça n’avait aucune importance.

Comment es-tu passé au 2.4 ?
Au départ, l’objectif était 100 % sportif, pour une fois que je rentrais dans une bonne case grâce à mon handicap, je n’allais pas cracher dessus ! Ensuite, c’est devenu autre chose, une sorte d’engagement. J’ai appris à connaître ce monde du handicap et, paradoxalement, je n’avais pas l’impression d’en faire partie avant ça. Je me suis aperçu qu’ils étaient tous des sportifs avant d’être des handicapés et que ce sont des gens qui valent le coup. 

Comment es-tu passé à la course au large ?
Depuis 1990 et l’arrivée de la Route du Rhum, je me suis dit que le large était un objectif. Au moment de ma qualification pour l’ENV, j’étais à deux doigts de monter un projet pour participer à la Mini Transat. En 2004, je me suis dit qu’il était temps de profiter de ma médiatisation pour y passer et le meilleur moyen était le Figaro. Mon handicap n’avait jamais été un frein jusqu’à maintenant, j’en ai discuté après et je me suis rendu compte que c’est ce que vivent beaucoup de gens. En 2006, les choses se sont heureusement débloquées. J’ai pu participer à la Transat AG2R. C’était une belle course en double et j’ai enchaîné sur La Solitaire. D’ailleurs, j’ai aussi eu beaucoup de soutiens, notamment de la part de quelqu’un comme Yann Elies. C’est l’arrivée de la class 40 qui m’a permis de rêver à la Route du Rhum. 20 ans après la Route du Rhum 1990, je pouvais prendre le départ de celle de 2010 et rentrer à la maison en Guadeloupe. C’était beaucoup de symboles. J’ai terminé 10ème, mais je savais que j’aurais pu faire mieux. J’ai donc décidé de rempiler car j’avais la possibilité de construire un bateau neuf et d’y mettre ma patte.  

Est-ce que tu arrives à te projeter sur l’après Route du Rhum ?
Pour moi, l’objectif ultime est d’aller jusqu’au Vendée Globe. J’adorerais être le premier handi à boucler un Vendée Globe. Si on veut trouver une fin à l’histoire, je pense qu’elle est là. Ce sera l’année des Jeux de Rio donc si je dois partir, il faudra que ça se fasse dans de bonnes conditions. Je ne peux pas me permettre de faire les choses à moitié car si j’ai un problème, on dira que ça vient de mon handicap, même si ça n’aura rien à voir. Il ne faut pas qu’on puisse me reprocher quelque chose, et surtout pas ça.