Ils sont les hommes de l’ombre de ce Trophée Jules Verne. Jean-Yves Bernot était le routeur de Spindrift et Marcel van Triest, celui d’IDEC. Tous deux ont des palmarès incroyables et connaissent par cœur les pièges du Jules Verne, leur terrain de prédilection. Ils ont vécu eux aussi l’aventure pendant 47 jours avec leurs cartes et leurs logiciels de routage. Ils ont bien voulu nous confier leurs premières impressions.
Jean-Yves Bernot : ” Le problème sur le mât nous a fait perdre notre chance de battre le record “
Course Au Large : Comment s’est passé ce Trophée Jules Verne ?
Jean-Yves Bernot : C’était vraiment intéressant et encore plus à deux bateaux. La situation météo était passionnante même si on n’a pas battu le record. Le battre aurait été bien mais ce qui m’intéresse le plus c’est la stratégie et les problèmes météos à résoudre. Et là-dessus on n’a pas été mauvais.
CAL : Revenons sur le départ, vous êtes partis en même temps avec IDEC ?
JYB : La situation au départ était claire comme de l’eau de roche pour la descente même si on avait déjà une ébauche malheureusement d’un Atlantique Sud pas très facile. Quand tu pars au mois de novembre. Il ne faut pas réfléchir très longtemps. S’il y a une fenêtre météo possible, il faut la prendre et partir, c’est ma théorie. On n’a pas hésité. Sinon, tu peux ne pas en avoir d’autre et rester au bistrot tout l’hiver. C’est ce qui s’est passé une année avec Banque Populaire.
Par rapport à IDEC, je serais parti peut-être 4 ou 6 heures plus tard histoire de l’avoir en lièvre. Je trouvais cela plus pratique. Mais on voyait que la sortie du goulet de Brest allait être un peu moins bonne par la suite donc on n’a pas fait les malins, on est parti seulement deux heures plus tard. Cela nous a permis de nous échauffer, d’être stimulés.
CAL : Est-ce que vous avez fait des erreurs dans vos choix tactiques ?
JYB : Il y en a eu peut-être mais si on en a fait on n’a pas dû en faire beaucoup. Toutes les phases où cela était difficile, on s’en est à chaque fois bien tiré. La descente de l’Atlantique était très bien. A Sainte-Hélène, on fait un petit bord parfait au sud-ouest qui nous a permis d’attraper la dépression et de prendre de l’avance quand IDEC lui, a un peu merdouillé. Ils n’y ont pas cru, ils ont dû plonger dans le sud et ils se sont retrouvés à tricoter derrière. Nous on est passé limite et on a pris une bonne avance. Après dans l’Ocean Indien c’était terrible, on butait sur des dorsales. C’est un problème nouveau avec ces bateaux très rapides dans les zones de transition. Et là, je ne peux rien faire. Cela a profité à IDEC qui était bien content de nous rattraper.
CAL : Aux Kerguelen, Spindrift casse son foil. Est-ce que cela a changé quelque chose sur la route à prendre ?
JYB : Non, cela n’a eu aucun impact finalement même si au début l’équipage a été très prudent tribord amure et a levé un peu le pied pour éviter de casser quoique ce soit d’autre. Une fois les réparations faites, on est reparti pied au plancher.
Après les Kerguelen, on apprend à ce moment-là que tu passes un accord avec Marcel pour ne pas descendre trop sud ?
JYB : On s’est retrouvé avec Marcel face à une situation un peu inédite où il y avait une décision à prendre qui impactait fortement la course. En clair, si l’un de nous deux décidait de faire plonger son équipe dans les 63° sud, il pouvait prendre deux jours d’avance sur l’autre. Un choix risqué parce qu’à cette latitude le risque de rencontrer des glaces est très important.
C’était un choix de route théorique que nous avions vu tous les deux sur nos cartes. L’autre alternative était de temporiser dans les résidus d’une dépression et de perdre du temps. On se connait bien avec Marcel. On est très copain. Il m’a appelé au moment où j’allais le faire. Il m’a demandé ce que j’en pensais. On s’est mis d’accord pour ne pas descendre.
CAL : Et la course, il n’y a pas de règles pourtant sur le Trophée Jules Verne ?
JYB : Oui mais on veut que cela reste un sport et pas la roulette russe. Quand tu es dans la glace tu n’as aucune chance. C’est pour cela que sur les courses, on met des limites. On veut que cela reste du sport et ne pas chercher à savoir qui a le plus de chances. La règle de savoir qui est le plus con pour descendre le plus bas, on l’a déjà vécu sur la Volvo. On a fait descendre toute la flotte au 62 sud. Elle a été prise dans les glaces et elle est remontée. Avec Marcel, ensemble on s’est dit que pour les deux jours qui viennent on ne descendra pas. On était quasiment sûr qu’il y avait de la glace. On a reçu des informations du CNS nous disant qu’il y en avait. Alors emmener des trimarans dans ces zones-là, ce n’est même pas suicidaire, c’est simplement stupide. 62, 63° ce sont des endroits où je vais souvent naviguer et Marcel aussi, on sait que c’est complètement idiot d’aller en course là-bas. Pour moi on prend une bonne décision. On fait du sport. Je suis responsable de la sécurité et de la performance d’un bateau. Je ne suis pas payer pour jouer à la roulette russe.
CAL : En face de vous, il y avait Yann et Francis, comment leur avez-vous annoncé ?
JYB : On était tous d’accord. La décision était claire. Il n’y avait pas d’arrière-pensée entre nous. Yann l’a toujours dit et même avant le départ. On ne prend pas de risque avec la glace et Francis pensait la même chose. On pense que c’est la bonne décision. Personne ne va 63 Sud. Comme sur le Vendée Globe.
A suivre la version de Marcel van Triest : “Quand on a rattrapé Spindrift, c’était un grand moment et que les deux bateaux se sont retrouvés bord à bord c’était un grand moment. “