Vous rempilez dans la Volvo Race cette fois comme skipper de Team Dongfeng, c’est une reconnaissance de votre valeur et un joli défi ?
“C’est clair, c’est un énorme challenge. Si on m’avait dit “Tu vas être skipper sur un 60 pieds IMOCA pour le Vendée Globe”, j’aurais dit “Je suis assez à l’aise sur le sujet, j’ai mon idée pour gérer”. La Volvo, je connais aussi puisque j’en ai déjà fait une, je vois à peu près où je veux aller, mais c’est une autre responsabilité.”
Le fait d’avoir été choisi pour ce projet atténue-t-il votre déception légitime sur le projet Safran ?
“Le Vendée Globe me tenait très à coeur et j’avais un espoir fort dans le projet Safran, mais j’ai une bonne étoile, puisque je me retrouve skipper de ce projet chinois. Peut-être par manque d’ambition, je n’y avais pas vraiment pensé. C’est un bon retour après la frustration Safran. J’ai décidé de foncer, je me suis dit “J’ai fait de belles choses dans ma carrière et je mérite d’avoir un beau projet”.”
Est-ce mieux ou moins bien qu’un Vendée Globe ?
“En fait, la Volvo m’a beaucoup plu la dernière fois et la refaire dans ce contexte-là est vraiment motivant. En tout cas, je remercie Franck Cammas qui a relancé un projet français dans la Volvo. Sans l’histoire Groupama, je ne serais pas là. Je n’oublie pas Sébastien Josse (skipper de Gitana et ancien de la Volvo sur ABN Amro) qui a été le premier sollicité et a décliné l’offre. Il m’a aidé à rejoindre cette équipe. Maintenant, j’y vais à fond.”
Vous évoquez la campagne victorieuse sur Groupama avec Franck Cammas. Vous avez beaucoup appris, comment allez-vous vous servir de cette expérience ?
“L’expérience d’une équipe gagnante, c’est hyper enrichissant, d’autant qu’on était un peu parti de zéro avec Groupama. Nous n’avions pas d’expérience, même si nous étions bien entourés. J’ai participé à toute l’aventure du début à la fin, j’ai vu ce qui marchait, ce qui ne marchait pas, la rigueur qu’il fallait mettre dans ce projet et comment gérer une grosse équipe et un gros équipage. La grosse difficulté dans cette course, c’est la durée et son rythme. A partir du moment où on décide de la faire, il faut se préparer intensément pour être compétitif. Je vais me servir de ce vécu avec Groupama, mais je ne vais pas faire de copier-coller. D’abord parce que la personnalité de Franck Cammas est très différente de la mienne, même si on a des points communs. Cela fait 20 ans que je navigue, j’ai enchaîné divers projets gagnants avec des skippers différents depuis sept ans. J’ai vu plein de bonnes méthodes qui fonctionnent, je vais me servir de tout ça.”
Avec le choix d’un monotype, le visage de la course va changer, sera-t-il aussi intéressant ?
“Je pense que ce format va être très intéressant pour quelqu’un comme moi qui a une culture française de la course au large, mais aussi de la monotypie avec le Figaro. On va être moins nombreux, les bateaux sont un peu plus petits. Le monotype de la Volvo se rapproche d’un IMOCA, même s’il est un peu plus lourd. Il est plus grand et plus puissant, mais c’est un bon mixte entre ce qui existait avant (VO 70) et les IMOCA. Cela va changer, ce sera un bateau sympa, peut-être plus exigeant au niveau du pilotage. Cela change la donne. A bord de Groupama si on n’était pas au top des réglages, on avait des facilités en vitesse. Là, on aura tous le même bateau à chaque étape, on repart à zéro. Avant, si tu avais un bateau au potentiel inférieur, tu savais que ta course était un peu morte. Dans la dernière Volvo, on a passé beaucoup de temps à optimiser notre bateau. Cette fois, il n’y aura pas grand-chose à faire au niveau technique. Cela change radicalement l’approche. Il faudra passer plus de temps sur l’eau, être plus exigeant avec les marins. C’est ce qui fera la différence.”
Ce projet chinois est particulier puisque l’équipage mélangera des marins chinois et occidentaux. Comment s’opère la sélection et quelle sera la proportion de Chinois à bord ?
“Un des objectifs est que la Chine devienne une nation de course au large. Pour notre sport, c’est fantastique. Le but est clairement d’intégrer les Chinois, de leur faire découvrir ce sport, afin qu’à terme, on voit un bateau chinois performant sur une Volvo. Il y a eu un énorme recrutement en Chine. Ils ont fait plein de tests très sélectifs et ont retenu une douzaine de garçons qui sortaient du lot. Ils sont là avec nous, s’entraînent sur de petits bateaux et on essaie de sélectionner les meilleurs. L’objectif est d’en prendre cinq et la proportion sera de trois à quatre Chinois à bord sur un équipage de huit. C’est déjà beaucoup.”
Quels sont vos objectifs sportifs ?
“En ayant des marins chinois à bord, on sait qu’on sera moins performant au départ qu’avec un équipage de marins ultra expérimentés. On veut que ça ressemble à un équipage chinois. Au départ d’Alicante, on aura des gens peu expérimentés. Mais le but est qu’à la fin, on soit dans le match. Nous ne sommes pas les favoris par rapport à des équipages mieux armés. Mais les Chinois sont des gens ultra motivés, très travailleurs. Ils ont envie d’apprendre, on va essayer de faire au mieux. On a des ambitions sportives.”
Et côtés français et étranger, à quelle règle obéit le casting ?
” On va être une petite équipe de quatre à cinq à faire avancer le bateau et à dispenser nos conseils. Ma philosophie est de choisir des gens avec qui je m’entends bien. Je ne veux pas avoir de problèmes humains à gérer. Il faut des gens ultra-performants et très solidaires. Il y aura six navigants non chinois sur le projet, il m’en reste encore deux à trouver.”
Vous êtes à Sanya depuis plusieurs jours. Comment se passe cette immersion ? Ressentez-vous de l’engouement autour du projet ?
“En premier lieu, au plan technique, les conditions sont idéales pour naviguer et travailler. Derrière nous, il y a un sponsor (Team Dongfeng) ultra motivé qui a une vision à long terme et qui a envie que la voile devienne un sport important en Chine. Ici, à Sanya, les gens sont enthousiastes, on ressent l’envie de réussir un beau projet. Il y a la dimension sportive, mais aussi une dimension humaine avec un pays dont la culture est radicalement différente de la nôtre. Déjà, à bord de Groupama, il y avait des nationalités et des cultures différentes, ce n’était pas toujours simple. Là, on passe à une autre extrémité.”
Cette part d’inconnu, c’est aussi ce qui fait le charme de l’histoire pour vous ?
“Quel que soit le résultat sportif, je sais que je ressortirai différent et plus riche de cette aventure. Et pas seulement comme marin mais au plan humain. Au-delà du sport ,la Volvo Race, c’est une expérience humaine incroyable. C’est ce que j’ai aimé la dernière fois, le travail en équipe, arriver à motiver tout le monde vers le même objectif. On enchaîne des étapes de 20 jours tous les mois, par rapport au rythme des courses en France, c’est énorme. C’est une formidable aventure et je suis heureux de la vivre à nouveau. Petit clin d’oeil, on baptise Team Dongfeng le jour de mes 40 ans. C’est un signe, ce projet était fait pour moi !”
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Propos recueillis par Gilbert Dréan / Le Télégramme




















